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Contraception masculine : des hésitations ad libido

Publié le 15 octobre 2022
Par Caroline Guignot
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En l’absence de volonté politique ou industrielle, la contraception masculine reste essentiellement officieuse, menée hors de tout cadre médical. Pourtant, il en faudrait peu pour que le contrôle des naissances redevienne enfin une affaire de couples.

Fin août, une vingtaine de personnalités publiaient une tribune dans Libération, invitant les pouvoirs publics et les laboratoires à développer la contraception masculine en France, « enjeu majeur quant à l’égalité femmes-hommes en matière de santé sexuelle ». Depuis, aucun signe clair n’a été émis par les ministères en charge des questions de santé et d’égalité. Le rapport sur le sujet, dont la rédaction était prévue par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2022, n’a jamais vu le jour. A défaut, la contraception reste majoritairement l’affaire des femmes. C’est pourtant un revirement récent de l’histoire puisque, jusqu’à l’arrivée de la pilule, le contrôle des naissances était une question gérée au sein du couple, par le préservatif ou par le retrait.

Dans les années 1980, la recherche de méthodes alternatives était en plein développement. L’apparition du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), responsable du sida, lui a donné un coup d’arrêt, le tout préservatif s’imposant. Une fois les antirétroviraux apparus sur le marché, la recherche aurait pu reprendre mais cela n’a eu lieu qu’à la marge, notamment dans des pays où l’accès à la pilule féminine est aléatoire et le contrôle des naissances un enjeu important, comme la Chine ou l’Inde.

De l’injection hormonale à l’anneau

Un protocole de contraception hormonale masculine a été validé par l’Organisation mondiale de la santé. Il repose sur l’injection de testostérone visant à freiner l’axe hypothalamohypophysaire (AHH) par rétrocontrôle négatif. Cette injection hebdomadaire pose des difficultés chez une minorité d’hommes traités : hypertestostéronémie, hypersexualité ou agressivité transitoires, augmentation de l’hématocrite. Par ailleurs, 30 % des hommes n’atteignent pas le seuil de 1 million de spermatozoïdes par millilitre d’éjaculat, considéré comme le seuil contraceptif (et parfois relevé à 3). Pour éviter ces limites, d’autres approches hormonales sont développées, avec des progestatifs ou des analogues de l’hormone de libération de la lutéinostimuline (LHRH) freinant l’AHH, en association avec une supplémentation de testostérone. Des travaux français ont notamment porté sur un progestatif et de la testostérone transdermiques. Mais l’évaluation actuellement la plus avancée est menée par une organisation non gouvernementale américaine : il s’agit d’une formulation retard de testostérone qui évite le pic hormonal à l’origine de la majorité des effets secondaires et qui permettrait de passer à une injection mensuelle. Les données de cet essai sont attendues d’ici un à deux ans.

Une des difficultés supplémentaires au développement de la « pilule » masculine repose sur l’évaluation de sa balance bénéfice-risque, comme l’explique Jeanne Perrin, professeure de biologie et médecine de la reproduction au centre hospitalier universitaire (CHU) de Marseille (Bouches-du-Rhône) : « Aujourd’hui, les critères sont plus rigoureux que ceux utilisés lors de l’évaluation des pilules féminines. C’est une avancée pour la sécurité des patients. Mais si les troubles de l’humeur peuvent conduire à interrompre un essai de contraception masculine, on peut être interpellé par le fait que ces mêmes manifestations ne soient pas considérées chez les femmes… »

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Dans les années 1980, une approche alternative très novatrice était aussi en plein développement : la contraception thermique. Roger Mieusset, urologue au CHU de Toulouse (Haute-Garonne), est le pionnier du « slip chauffant » : « La température testiculaire, qui est primordiale pour la spermatogenèse, est inférieure de quelques degrés à celle du reste du corps. En relevant les testicules à la racine du pénis et en les maintenant 15 heures par jour au niveau du canal inguinal, la formation des spermatozoïdes s’effondre sans affecter les cellules souches, et ceux qui sont encore produits ont une mobilité et une morphologie altérées ». Les premiers essais cliniques confirment l’efficacité et la réversibilité de cette technique. Malheureusement, une étude de phase 3 est onéreuse et, pour l’heure, aucun investisseur ne propose de financement pour finaliser ce développement. Un anneau contraceptif reposant également sur ce principe et pour un même résultat (Andro-Switch) a été commercialisé puis retiré du marché par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé en l’absence d’essais cliniques spécifiques. Si ces produits ne sont pas commercialisés, le bouche-à-oreille de ceux qui ont déjà testé ces approches fait tache d’huile. Aussi, beaucoup utilisent des sous-vêtements fabriqués par eux-mêmes au cours d’ateliers ou de tutoriels dénichés sur le Web. « Mais cela se fait souvent sans avis médical visant à identifier les contre-indications (antécédents d’hernie inguinale, de torsion testiculaire, etc.), et sans suivi médical permettant de s’assurer de l’innocuité ou de l’efficacité de la méthode. Ce n’est pas acceptable », poursuit l’urologue.

La France en retard

In fine, la vasectomie reste l’une des seules alternatives, alors même qu’elle ne peut être considérée comme une technique contraceptive étant donné sa réversibilité chirurgicale inconstante. Elle consiste à couper les canaux déférents au niveau du scrotum pour interrompre le passage des spermatozoïdes depuis les testicules vers les vésicules séminales où ils sont habituellement stockés. « Il s’agit d’une intervention beaucoup plus facile et rapide qu’une ligature des trompes. Mais la France est très en retard sur le recours à cette technique, car elle n’a été autorisée qu’en 2001 », explique Jeanne Perrin. Le nombre d’actes a été multiplié par 10 ces toutes dernières années, signe qu’il y a de vrais besoins contraceptifs non pourvus. Reste que le délai de réflexion est long (quatre mois) et que beaucoup de médecins ont encore une approche très patriarcale, refusant son accès à des personnes sans enfant. « Deux méthodes alternatives à la vasectomie chirurgicale – Risug [pour reversible inhibition of sperm under guidance, NdlR] et Vasalgel – font actuellement l’objet d’essais cliniques. Elles reposent sur l’injection d’un polymère dans les canaux déférents qui bloque le passage des spermatozoïdes. Elles seraient réversibles après injection d’un produit permettant de dissoudre le polymère et de reperméabiliser les canaux. Les résultats d’efficacité et de réversibilité de cette approche sont attendus prochainement », poursuit-elle. Moins avancées, des approches d’immunothérapie ou de médicaments non hormonaux sont aussi expérimentées.

Les besoins existent, les solutions émergent, mais seule une politique volontariste pourra favoriser un véritable changement de paradigme. De la part des industriels, tout d’abord. « Déjà investis dans les champs de la contraception féminine, ils sont frileux pour développer un marché dont ils ignorent l’ampleur », reconnaît Roger Mieusset. De la part des pouvoirs publics ensuite. « Seule une véritable politique de santé sexuelle globale, et envisagée dès l’éducation des jeunes populations, peut aider à réimpliquer les hommes dans la gestion de la contraception et à peser sur la demande pour développer l’offre ». Elle aidera aussi à faire tomber les nombreuses idées reçues en la matière, comme le rappelle Jeanne Perrin : « Il y a une confusion entre les notions de fertilité, d’érection, de plaisir et de virilité, parce que les hommes ne sont pas formés. Concernant la vasectomie, certains ont peur de ne plus éjaculer alors que le sperme est produit par la prostate et les vésicules séminales. Avec la contraception hormonale, ils redoutent une perte de libido. »

Frustration médicale

La formation continue des professionnels constitue donc un autre pan indispensable à ce développement, la formation initiale sur le sujet étant dérisoire. C’est la raison pour laquelle la Société d’andrologie de langue française (Salf) organise des formations depuis 2018. « Une fois formés, les médecins se disent prêts à prescrire mais frustrés parce qu’ils ne peuvent utiliser les techniques qui existent. Certains acceptent de suivre des hommes qui “se contraceptent” seuls par méthode thermique pour leur apporter un cadre minimal de sécurité et leur prescrire des spermogrammes pour s’assurer de l’efficacité de la méthode. Une poignée accepte de prescrire la testostérone hors autorisation de mise sur le marché. » Face à la demande croissante de renseignements, la Salf va publier sur son site la liste des médecins formés. De quoi aider tous les couples qui le souhaitent à trouver la bonne information.