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Pic de stress à l’officine

Publié le 2 février 2013
Par Annabelle Alix
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Relations tendues, pression du titulaire, manque de reconnaissance ou d’organisation… l’environnement professionnel se complique dans le monde officinal. Le stress au travail n’est pas la seule affaire du salarié qui en est victime. L’employeur doit prendre les mesures qui s’imposent. Seule condition, en parler.

À la ville comme à la campagne, dans une petite comme dans une grande officine, les préparateurs sont aujourd’hui stressés. Selon notre sondage (voir encadré p. 23), 54 % d’entre vous se sentent « souvent », voire « toujours » stressés à la pharmacie.

Le stress au travail n’est pas le sujet à la mode pour faire plancher les théoriciens du coaching ou du management. Il correspond à quelque chose que vivent les salariés. Un sentiment partagé par 75 % des Français, qui considèrent le mot « stress » comme celui décrivant le mieux la façon dont ils vivent leur travail(1). Une situation qui, négligée, peut avoir de grandes conséquences. Les suicides en entreprise font la une des journaux et le malheur de nombreuses familles. À l’initiative de Xavier Bertrand, ancien ministre du Travail, un livre blanc sur le stress au travail est paru en 2008(2). Il a mis en lumière le phénomène, et des outils disponibles pour l’appréhender.

Le 11 septembre 2008, les partenaires sociaux signaient un accord interprofessionnel sur ce sujet, transposant en droit français un accord européen (voir encadré p. 24) afin d’augmenter la compréhension, la détection et la recherche de solutions. Le stress au travail n’a pas de frontières… Un salarié européen sur cinq déclare ainsi souffrir de troubles liés au stress au travail. Pourquoi les officines seraient-elles épargnées ?

Le stress oui, mais de quoi parle-t-on ?

Le stress est l’ensemble des réactions d’un individu à des facteurs de risque. Ainsi, la Commission européenne définit le stress lié au travail comme étant « un état fait de réactions émotionnelles, cognitives, comportementales et physiologiques aux aspects néfastes et nocifs de la nature du travail, de son organisation et de son environnement… À l’origine du stress, on trouve une inadéquation entre l’homme et son travail, des conflits entre ses rôles au travail et en dehors du travail, et le fait qu’il ne possède pas un degré normal de maîtrise de son travail et de sa vie ».(3) Selon l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail, « il y a stress lorsque les exigences du milieu du travail dépassent les capacités des salariés à faire face à celles-ci (ou à les maîtriser) ». Certes, les facteurs de stress peuvent avoir des effets propres et des manifestations spécifiques sur les individus – nous n’avons pas les mêmes armes personnelles face aux exigences de la vie (voir encadré ci-dessous) –, mais un certain nombre de sources et causes de stress sont communes à tout salarié, et reconnues.

Des causes connues

Si l’on s’en tient à la lecture des travaux européens et français(2)(3), l’officine est un milieu à risque de stress : un faible pouvoir décisionnel des préparateurs, des exigences inappropriées, un faible soutien des collègues ou des conflits entre les fonctions de préparateur et d’adjoint, un manque d’information sur la situation de l’officine et de faibles niveaux de récompense… Près de la moitié des préparateurs sondés classent le relationnel en tête des sources de stress au travail. Déremboursements, tiers payant contre génériques, ouverture du dossier pharmaceutique…, les clients refusent les règles. Parfois bruyamment. « C’est stressant de subir leur agressivité, de se répéter sans cesse, souvent auprès des mêmes clients », rapporte Céline, préparatrice. Certains s’énervent même au sujet de la caution qu’on leur réclame pour la location d’un aérosol, alors qu’elle n’est pas encaissée. »

Outre les clients, ce sont aussi les titulaires qui ont changé la donne. « Depuis dix ans, le relationnel est plus fatigant, témoigne Sylvie, préparatrice avec vingt-huit ans d’expérience. Les attentes des titulaires envers nous ont changé. Leurs marges ont baissé, et ils doivent endosser de nouvelles responsabilités. Dans la dernière officine où j’ai travaillé, pour une ordonnance délivrée je devais systématiquement vendre cinq produits associés ».

Le relationnel n’est pas toujours au beau fixe non plus entre les salariés. « Je suis tombée sur une préparatrice plus âgée lors de mon apprentissage, se souvient Céline. Elle me donnait continuellement des ordres et me certifiait que je n’aurais pas mon diplôme… Je pense qu’elle avait peur que je prenne sa place et qu’elle faisait tout pour me pousser à partir. »

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Trop et pas assez

Outre les problèmes de relationnel, les préparateurs sont exposés à une surcharge de travail, notamment en raison du sous-effectif lié au contexte économique difficile. « Nous sommes de moins en moins nombreux, mais nous avons de plus en plus de tâches à gérer, développe Sylvie. Courir avec des caisses dans les mains, ranger, être au four et au moulin sans jamais faire de pauses provoque un stress moral, mais aussi physique. Nous sommes constamment sous pression ! » Pour le cabinet de conseil Stimulus créé par Patrick Légeron, psychiatre, les changements dans le travail, le manque de reconnaissance et de perspectives d’évolution sont les premiers facteurs de stress des salariés du secteur de l’environnement, de la santé humaine et du social. D’ailleurs, plus d’un quart des préparateurs considèrent la mauvaise organisation du travail et le manque de reconnaissance comme leur première source de stress. Plus de la moitié des sondés estiment qu’ils seraient moins stressés s’ils obtenaient davantage de reconnaissance dans leur travail.

Des sources de stress encore plus présentes dans les petites structures comme l’officine, « où les tâches sont moins bien définies que dans les grandes entreprises », observe Philippe Gasparac, gérant de PG Consulting, société de conseil et formation en entreprise. Mais, « en l’absence de personnel dédié aux ressources humaines et à la gestion des carrières pour anticiper ces questions, la gestion de ces stress est moins bien intégrée que dans les grandes structures » relève Philippe Gasparac. Excepté peut-être dans les officines engagées dans une démarche qualité (voir témoignage p. 25).

Un peu ça va, beaucoup, bonjour les dégâts

Le stress n’est pas une maladie, il peut même être bénéfique à court terme, mais une exposition prolongée au stress peut réduire l’efficacité au travail et causer des problèmes de santé(4). « Je sers parfois les clients de manière un peu précipitée, explique Céline. J’essaie de bien faire mon travail, mais j’ai peur de perdre mes moyens, de manquer de concentration, je suis perturbée quand je délivre mon conseil, je suis moins claire ».

Anxiété, irritabilité, dépression, hypocondrie, le salarié peut souffrir de difficultés de concentration, de mémoire et de prise de décision. Et voir sa santé physique se dégrader : immunité affaiblie, problèmes cardiaques, digestifs, musculaires ou articulaires, migraines ou fatigue chronique. « Sur le plan psychologique, le stress peut par ailleurs provoquer des angoisses et inhibitions diverses invalidant un grand nombre d’initiatives, ou conduire à l’échec de certaines démarches pourtant courantes, explique Harry Ifergan, psychologue et psychanalyste à Paris. Le salarié peut également se retrouver dans l’incapacité d’affronter l’adversité ». Avec, à terme, absentéisme, cessation d’activité, voire décès prématuré… Le coût social du stress au travail représenterait 10 à 20 % des dépenses de la branche accidents du travail/maladies professionnelles de la Sécurité sociale(2).

Travailler… sur la prévention

« Une situation de travail stressante est le reflet d’une organisation défectueuse, que le salarié doit identifier », explique Marie-Benoîte Sanglerat, chargée de mission en santé au travail à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). En cas de situation de stress liée à l’agressivité d’un client, il s’agit de signaler au titulaire les manques organisationnels, en lui disant par exemple : « Nous n’avons pas tous eu l’information nous permettant de répondre à telle question, et je ne sais pas vers qui orienter le client lorsque le bon interlocuteur est absent ou indisponible ». Un bon tremplin à la mise en place d’une procédure favorisant la diffusion systématique des informations dans l’équipe. Il faut également évaluer en quoi la situation est susceptible d’impacter le collectif, par exemple l’allongement potentiel de la file d’attente le temps d’obtenir l’information demandée.

« Parler favorise le dialogue et évite de cristalliser les tensions », relève Marie-Benoîte Sanglerat, qui propose : « L’employeur doit créer un groupe de travail pour identifier les situations objectivement stressantes, comme gérer un client mécontent ou supporter une charge de travail supplémentaire en l’absence d’un pharmacien ». La direction générale du travail (DGT) met en avant des outils pour accompagner les petites entreprises dans cette démarche(5). L’un d’entre eux répertorie quarante facteurs de stress récurrents. « L’outil de la DGT répertoriant les risques récurrents, extérieur à l’entreprise, est une aide pour aborder les sujets délicats ». L’employeur doit prendre le temps de discuter avec ses salariés de leur travail, de l’organisation en place, des situations problématiques, et réfléchir avec eux à des solutions adaptées, par exemple au cours d’une réunion avec plateau déjeuner. Pour éviter le dysfonctionnement typique de « former l’équipe en janvier à un logiciel installé en septembre ». Nommer un référent peut également faciliter le dialogue, et garantir une meilleure continuité de la démarche.

Actions « perso » anti-stress

Prévenir le stress passe aussi par une démarche individuelle. Écouter ses ressentis et développer sa présence sont les conseils en substance de la relaxologue Solange Champion. « En cas de surcharge de travail, il faut d’abord apprendre à s’organiser, à gérer son temps et à prioriser ses tâches en dissociant l’urgent de l’important, indique-t-elle. Il faut analyser, planifier ce qui peut l’être et laisser du temps pour l’imprévu ». Un client se présente peu de temps avant la fermeture ? Il est possible de le servir, mais de facturer le lendemain si vous devez livrer avant 20 heures un médicament ou passer une commande urgente. « Lorsqu’une tâche ne peut être accomplie dans les délais impartis ou manque de précision, il convient de répondre de manière honnête et professionnelle en disant “Je ne pourrai le faire que demain”, ou “J’ai besoin d’informations complémentaires pour l’effectuer, mais vous pouvez compter sur moi pour le faire” », explique Solange Champion. En plus d’assainir sa relation avec son titulaire, le préparateur apparaîtra comme fiable, plus sûr de lui et aura plus de chances d’obtenir la reconnaissance de son employeur. Tout en échappant à la frustration.

En avant la confiance

Il existe aussi des exercices pour être à l’écoute de ses capacités. « Décortiquer à l’écrit une réussite professionnelle, en décrivant à chaque étape les qualités qui ont été requises pour la mettre en œuvre, permet de mieux prendre conscience de ses compétences », précise Solange Champion. « Noter trois choses positives faites par jour pendant trois mois est également un moyen de modifier son angle de vue sur ses capacités », indique Pierre Pyronnet, formateur animateur en gestion du stress. Quant au « carnet colère », il consiste à mettre chaque jour par écrit les situations de stress rencontrées. « Noter ses émotions permet d’en faire un objet observable, qui favorisera le recul lors des prochaines situations du même type », conseille Philippe Gasparac. Enfin, pour l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, il ne suffit pas d’éliminer les facteurs de risque pour résoudre un problème de stress. Il faut aussi « conjuguer plusieurs changements fondamentaux et proactifs à différents niveaux afin de créer un milieu de travail plus sain et plus stimulant ».(2) À chacun d’y réfléchir avec son équipe. Prévenir plutôt que stresser…

(1) Sondage TNS Sofres de 2007.

(2) « Livre blanc : stress au travail, comment l’appréhender, comment le mesurer », SRM Consulting, 2008.

(3) « Comment maîtriser les problèmes psychosociaux et réduire le stress d’origine professionnelle », Systèmes et programmes, Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail, 2003.

(4) Accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 sur le stress au travail

(5) www.travailler-mieux.gouv.fr/ Comment-agir.html

Gérer son stress personnel

En dehors d’un environnement au travail objectivement stressant, un salarié peut se sentir stressé « lorsqu’il manque de confiance en ses capacités, qu’il est empreint de complexes ou envahi par ses propres appréhensions », explique Harry Ifergan, psychologue et psychanalyste à Paris. En cause, des pensées automatiques comme « je vais me laisser déborder », et « si je n’arrive pas à donner le meilleur de moi-même, autant n’avoir rien fait », des mécanismes de distorsion effectués par son cerveau (dramatisation, mémorisation des éléments stressants ou négatifs au détriment des éléments positifs). Sans oublier un conditionnement à un système de valeurs : besoin d’approbation, perfectionnisme, attentes élevées vis-à-vis d’autrui… « Il faut alors faire évoluer la façon dont on se parle à soi-même, explique Philippe Gasparac, gérant de PG Consulting, société de conseil et formation en entreprise, car, dans ce cas, ce n’est pas la situation qui est stressante, mais l’interprétation qu’en fait le salarié ».

Ce travail peut se faire avec un thérapeute cognitivo-comportemental. « Pour apprendre à gérer son stress, le salarié doit aller au-devant des autres, apprendre à exprimer ses émotions pour ne pas les intérioriser », ajoute Philippe Gasparac. Les liens sociaux favorisent le soutien moral et l’estime de soi, mais, pour Patrick Légeron, psychiatre spécialiste du stress au travail et directeur du cabinet Stimulus, les relations humaines comptent aussi parmi les sources de stress les plus importantes. Apprendre à « dire non sans hostilité » pour lutter contre les demandes et sollicitations multiples, à « exprimer ses demandes de manière directe » au lieu d’attendre parfois que l’autre les devine, à « formuler des désaccords de manière non conflictuelle » et « des critiques non agressives » sont, selon lui, un moyen de les combattre. « Une alimentation adaptée, un contrôle des consommations d’alcool, de tabac, de café et de psychotropes et la préservation d’activités de loisir et de plaisir » contribuent également à accroître la résistance au stress, tout comme le sport, le yoga et la relaxation.

L’organisme réagit en trois phases

La phase d’alerte

Libération d’hormones (catécholamines) dans l’organisme : elles augmentent la fréquence cardiaque, la tension artérielle, le niveau de vigilance et la température corporelle pour préparer l’organisme à faire face à une situation qu’il évalue comme stressante.

La phase de résistance

Elle se déclenche lorsque la situation de stress persiste. Elle se manifeste par la sécrétion de glucocorticoïdes, qui augmentent le taux de sucre dans le sang afin de parer aux dépenses énergétiques nécessaires.

L’épuisement

Il intervient en cas de stress chronique. Les récepteurs du système nerveux central deviennent moins sensibles aux glucocorticoïdes, dont le taux augmente constamment dans le sang. L’organisme, en permanence activé, s’épuise.

Sondage

Plus d’un préparateur sur deux est stressé à cause du travail

→ 54 % des préparateurs que nous avons interrogés se sentent toujours ou souvent stressés à cause du travail.

– 1 sur 10 répond « toujours » et 4 sur 10, « parfois »

– 92 % estiment que le travail à l’officine est de plus en plus stressant

→ 43 % citent les rapports humains comme première source de stress.

L’organisation du travail et le manque de reconnaissance arrivent juste derrière (28 % de citations).

– L’erreur de délivrance « stresse » 14 % des répondants.

→ Chez 3 préparateurs sur 10, le stress au travail se manifeste par des troubles somatiques.

Troubles digestifs, cardiaques, hypertension, ulcères, migraines, problèmes de dos, douleurs musculaires, fatigue chronique… sont les premiers troubles cités.

Viennent ensuite les troubles psychologiques, cités par 23 % des sondés : angoisse, déprime, hypocondrie, perte de confiance en soi…

→ Chez 13 %, le stress au travail nuit à la réalisation des tâches professionnelles…

Concentration, mémoire et prise de décision sont altérés.

… et a déjà conduit 16 % des préparateurs à ne pas aller travailler.

→ Pour évacuer leur stress, 50 % choisissent d’en parler, 40 % utilisent des moyens « physiques ».

– Parler de son stress à ses proches ou à un professionnel en psychologie soulage.

– 4 préparateurs sur 10 trouvent leur remède au stress dans le sport ou en pratiquant des techniques de relaxation.

→ Davantage de reconnaissance, une meilleure organisation du travail et un titulaire serein seraient des facteurs réducteurs de stress.

– Plus de la moitié cite une plus grande reconnaissance de leur travail.

– Une meilleure répartition du travail et des horaires moins étendus sont cités par près de 50 % des sondés.

– Plus de 4 sur 10 souhaiteraient un titulaire moins stressant.

Organiser une politique de réduction du stress

L’article L4121-1 du code du travail dispose que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques […], de formation et d’information, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés ». L’accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 sur le stress au travail (étendu par arrêté du 23 avril 2009) précise que « la lutte contre les causes et les conséquences du stress au travail peut être menée dans le cadre d’une procédure globale d’évaluation des risques, par une politique distincte en matière de stress et/ou par des mesures spécifiques ». Est imposée à toutes les entreprises la réalisation d’un document unique répertoriant les risques auxquels sont exposés les salariés, stress compris. Doivent aussi figurer les mesures préventives. « Le document unique doit être actualisé tous les ans et après chaque changement dans l’organisation des conditions de travail susceptibles d’affecter la sécurité ou la santé des salariés, rappelle Marie-Benoîte Sanglerat, chargée de mission en santé au travail à l’Anact. Son absence engagerait la responsabilité civile et pénale de l’employeur en cas d’accident grave ».

Témoignage

François Bonnet, gérant de la Pharmacie centrale « certifiée qualité » à Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne)

« La certification qualité nous impose certaines mesures réduisant le stress de nos salariés. La répartition des tâches est par exemple clairement et équitablement définie. Le personnel est affecté à tour de rôle sur les tâches plus pénibles comme la réception des commandes. Nous organisons des réunions chaque trimestre, au cours desquelles tous les sujets sont abordés de manière transparente. Les questions diverses pouvant concerner l’ambiance de travail y trouvent aussi leur place. Nous avons appris à communiquer et à tenir ces réunions de manière efficace. Les entretiens annuels d’évaluation sont également l’occasion d’échanger, de reconnaître le travail des salariés et d’envisager des perspectives d’évolution pour tous. »