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L’alcool tue, en parler libère

Publié le 4 juin 2013
Par Thierry Pennable
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Alors qu’une étude publiée en mai indique que 9 % des décès de 2009 sont imputables à l’alcool, les 130 pharmaciens des Deux-Sèvres ont mené une campagne, en partenariat avec l’association des Alcooliques anonymes, pour lutter contre ce fléau.

Les Français boivent trop. Et cela peut les tuer. L’étude menée par l’institut Gustave-Roussy et publiée en mai dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire(1) impute à l’alcool 49 000 décès sur un total de 535 000 survenus en 2009. Soit 36 500 chez les hommes et 12 500 chez les femmes (respectivement 13 % et 5 % de l’ensemble des décès). L’étude souligne aussi la mortalité prématurée imputable à l’alcool, qui concerne 22 % des décès chez les 15-34 ans (voir encadré p. 7). En France, où l’alcool est la seconde cause de mortalité évitable, après le tabac, l’équipe de l’institut Gustave-Roussy estime qu’une réduction de 10 ou 20 % de la consommation moyenne réduirait la mortalité due à l’alcool de 4 000 à 7 000 décès.

Aujourd’hui, même si cette consommation a beaucoup diminué, pour passer de 65 grammes d’alcool pur par jour à la fin des années 1930 à 27 grammes par adulte et par jour en 2009, elle reste supérieure à la moyenne observée au sein de l’Union européenne (26 g par jour).

Les Anonymes s’affichent

Les 130 pharmaciens des Deux-Sèvres (79) n’ont pas attendu ces chiffres pour se lancer dans une campagne contre l’alcoolisme, en partenariat avec l’association locale des Alcooliques anonymes. « Il y a quelques années, j’ai rencontré Bernard Pénicaud, un pharmacien de Niort qui anime une émission hebdomadaire sur la santé à la radio locale, explique William, alcoolique abstinent, membre de l’association. Je lui ai fait remarquer que les Alcooliques anonymes travaillent avec les médecins alcoologues et généralistes, les assistantes sociales et les infirmières, mais ne faisaient rien avec les pharmaciens, qui sont pourtant l’un des rouages de la prise en charge du malade alcoolique ». La rencontre a donné lieu à une campagne d’affichage en partenariat avec la chambre syndicale des pharmaciens des Deux-Sèvres, du 1er au 15 mai dernier. Chaque officine a reçu une affiche intitulée « L’alcool : en parler pour se libérer » avec le numéro national des Alcooliques anonymes et des cartes de visite comportant celui de l’antenne locale. « Deux numéros joignables 24 heures sur 24 », précise William. Parce que franchir le pas pour parler de son problème avec l’alcool n’est pas chose aisée.

Un déni de dépendance

« La problématique de l’alcoolisme est occasionnellement soulevée à l’officine même s’il y a beaucoup de déni vis-à-vis de la consommation d’alcool », constate Jean-Michel Gonzalez, pharmacien à Niort. Ce que corroborent les épidémiologistes de Villejuif : « … la consommation déclarée dans les enquêtes de population est très différente de celle estimée sur la base de l’alcool mis à disposition ». La pharmacie Gonzales est une pharmacie de quartier qui livre à domicile. « Lorsque l’on perçoit une situation d’alcoolisation problématique, on peut ouvrir une petite brèche et aborder la question avec les familles, rapporte le pharmacien. On peut donner un document, un numéro de téléphone et dire que si un jour le problème est trop difficile, la personne trouvera de l’aide avec des gens compétents. Ça peut aider au moment où il y a un déclic ». Au déni personnel, s’ajoute la représentation de l’alcoolisme qui reste un sujet tabou. Alors que « l’alcoolisme doit être perçu comme une maladie » affirme William. Et de préciser : « C’est en train de changer. De plus en plus de gens, qui ne sont ni alcooliques ni du milieu médical, disent que l’alcoolisme est une maladie, et non une tare ».

Quand vient le temps de la réunion…

Pour l’association, l’opération est concluante. « Nous avons reçu une dizaine d’appels en quinze jours d’affichage relayé par la presse locale, ce qui est remarquable, constate William. D’autant que les personnes ont appelé directement alors qu’habituellement la plupart des appels viennent des médecins généralistes ou spécialisés, ou des amis des personnes concernées ». Quand les intéressés appellent eux-mêmes, « on leur propose la chose la plus simple et la plus efficace : venir à une réunion, explique William. Parfois, la personne rappelle jusqu’à dix fois avant de franchir le pas et de venir assister à une réunion ». Quand l’appel provient d’un proche, « on conseille bien sûr d’essayer de persuader la personne concernée de venir. Comme les gens sont souvent assez réfractaires, on suggère à leurs proches de laisser traîner une documentation à la maison, que la personne en difficulté peut prendre sans avoir à reconnaître qu’elle est concernée. On donne aussi à l’appelant les coordonnées d’“Al-Anon”, une association pour les parents et amis de personnes alcooliques » (voir encadré p. 6).

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Un gage de confiance

Pour Jean-Michel Gonzalez, « les pharmacies ont un rôle à jouer. Une personne qui en ressent le besoin peut solliciter le pharmacien tout de suite, alors que prendre un rendez-vous chez un médecin est encore un pas à franchir. Nous sommes dans notre rôle social et de proximité et nous avons déjà une relation de confiance avec les malades, comme avec leurs proches ». C’est aussi cette relation de confiance qui intéressait l’association des Alcooliques anonymes dans cette initiative. « Nous sommes encore mal connus, regrette William. Pour sensibiliser le public à notre existence, la pharmacie, qui a pignon sur rue, apportait un gage de crédibilité. Nous ne sommes pas une secte ! » Les participants ont jugé l’expérience intéressante et suggèrent de la renouveler avec, pourquoi pas, une extension au niveau national.

(1) Étude de S. Guérin, A. Laplanche, A. Dunant et C. Hill, du service de biostatistique et épidémiologie de l’institut Gustave-Roussy, Bulletin épidémiologique hebdomadaire de l’Institut de veille sanitaire, mai 2013.

Des associations qui aident

Les Alcooliques anonymes (AA) sont une association d’hommes et de femmes qui partagent leurs expériences dans le but de résoudre leur problème commun et de demeurer abstinents. Sans droit d’entrée, ni cotisation, le désir d’arrêter de boire est la seule condition pour devenir membre des AA. Numéro d’appel (24 h/24) : 0 820 32 68 83.

Trouver une réunion à proximité : www.aafrance.fr

Les groupes familiaux Al-Anon/Alateen forment une association internationale de familles et d’amis d’alcooliques qui se réunissent pour venir en aide à l’entourage familial et amical affecté par l’alcoolisme d’un proche. Il existe 220 groupes Al-Anon en France. Les groupes Alateen, section d’Al-Anon, s’adressent, eux, à des jeunes dont la vie est ou a été affectée par l’alcoolisme d’un proche. Pour une demande d’aide : 01 42 81 97 05 (répondeur national) ; http://al-anon-alateen.fr

Mortalité et alcool

Sur les 49 000 décès en 2009 imputables à la consommation d’alcool(1) :

– 15 000 sont dus à un cancer, notamment de la cavité buccale, du pharynx, de l’œsophage, du colon, du rectum, du foie, du larynx et du sein ;

– 12 000 à une maladie cardiovasculaire ;

– 8 000 à une pathologie digestive ;

– 8 000 à une cause externe (accident, chute, suicide, homicide) qui dépend de l’alcoolisation aiguë plutôt que chronique et implique le buveur, mais aussi les tiers impliqués dans l’accident causé par un buveur ;

– 3 000 à des troubles mentaux ou comportementaux ;

– 3 000 à des causes diverses.

Pourcentage des décès imputables à l’alcool :

– 22 % chez les 15-34 ans ;

– 18 % chez les 35-64 ans ;

– 7 % chez les 65 ans et plus.