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Un cri du cœur

Publié le 26 octobre 2022
Par Pauline Machard
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Fréquente et grave, l’insuffisance cardiaque passe paradoxalement sous les radars. En cause, une mauvaise perception des signaux d’alerte marquant son apparition ou son aggravation. L’Assurance maladie et ses partenaires ont initié une campagne de sensibilisation, fin septembre, pour favoriser son dépistage précoce.

« Il faut connaître cette maladie ! », lance Philippe Muller, président de l’association Soutien à l’insuffisance cardiaque (SIC). À ses côtés, des représentants de l’Assurance maladie, du Collège de la médecine générale (CMG) et de la Société française de cardiologie (SFC). Tous sont venus annoncer, fin septembre, le lancement par l’Assurance maladie d’une campagne de sensibilisation aux signes d’alerte de cette pathologie chronique. L’insuffisance cardiaque prive le myocarde de sa capacité à pomper assez de sang pour fournir aux organes l’oxygène et les éléments nutritifs utiles à leur bon fonctionnement.

Donner de l’écho aux alarmes

L’objectif de cette mobilisation est d’améliorer la perception des principaux symptômes qui signent le surgissement ou la détérioration de la maladie. Regroupés sous le sigle « EPOF », ils sont au nombre de quatre : « E » pour essoufflement inhabituel, « P » pour prise de poids rapide – « 4-5 kg en trois jours », témoigne Philippe Muller –, « O » pour œdèmes des membres inférieurs et « F » pour une fatigue « intense » qui « vous tombe dessus en permanence ». Ils peuvent sembler banals, mais leur association ou leur survenue récente doit alerter. Cette vigilance permettra de détecter et de prendre en charge au plus tôt l’insuffisance cardiaque. La première édition de cette campagne, pensée pour être pluriannuelle, a mis les moyens. Durant cinq semaines, le message de sensibilisation, porté par le slogan « Et si votre cœur essayait de vous dire quelque chose ? », a été diffusé à la télévision, à la radio, dans la presse, sur les réseaux sociaux, les écrans des pharmacies et les salles d’attente des généralistes, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes. Un rappel des symptômes a été effectué auprès des professionnels de santé de premier recours, via des canaux dédiés, e-mails, e-news.

Des modules digitalisés d’autoformation devraient être rapidement mis à disposition du premier recours sur Ameli, notamment des officines. La profession est en première ligne pour reconnaître l’aggravation d’une insuffisance cardiaque connue, mais aussi pour déceler sa naissance, en particulier chez les malades chroniques à risque d’évolution vers l’insuffisance cardiaque : hypertension, diabète, BPCO, etc. En particulier lors du bilan partagé de médication.

Sortir de la surdité aux symptômes

Améliorer la connaissance des signaux d’alerte est crucial pour éviter que la pathologie continue de s’installer à bas bruit. Jusque-là, les Français ont du mal à les percevoir, qu’ils soient non diagnostiqués, soit de 400 000 à 700 000 personnes, avec 120 000 nouveaux cas par an, ou diagnostiqués, comme 1,5 million d’entre eux(1). Même les patients hospitalisés pour décompensation cardiaque ont du mal à intégrer qu’ils sont malades.

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Cette « surdité » aux symptômes conduit à un retard diagnostique et à une perte de chance pour le malade, avec une qualité de vie altérée. Il est physiquement handicapé dans les activités élémentaires du quotidien, ce qui a un impact psychique. Il peut décompenser, ce qui va nécessiter une hospitalisation, parfois en soins intensifs. L’insuffisance cardiaque est à l’origine de 200 000 hospitalisations et de 70 000 décès par an, soit un toutes les 7 minutes. Pour Philippe Muller, « les gens doivent être conscients que cette maladie est aujourd’hui mortelle ». « Beaucoup de cancers ont un meilleur pronostic », signale pour sa part le Pr Christophe Leclercq, président de la Société française de cardiologie.

La bonne nouvelle est que « nous avons les moyens d’agir, de changer la situation », positive le Dr Dominique Martin, médecin-conseil national de l’Assurance maladie. Tous les acteurs présents en sont convaincus. Une mobilisation collective en faveur d’un dépistage précoce, une prise en charge médicale constamment optimisée et un respect de recommandations hygiéno-diététiques améliorent le pronostic. « L’insuffisance cardiaque est une maladie définitive. On n’en guérit pas […] Mais aujourd’hui, avec les moyens de la médecine, on peut vivre avec à peu près normalement », assure Philippe Muller.

(1) Les hospitalisations représentent 42,3 % des dépenses totales de l’Assurance maladie dédiées à cette pathologie. Celles-ci s’élevaient à plus de 3 milliards d’euros (3 031 Md€) en 2020. Data pathologies Cnam, site internet consulté en août 2022.

Un plan plus large pour l’Assurance maladie

La sensibilisation aux signes d’alerte est l’un des leviers pour renforcer le parcours « insuffisance cardiaque », avec l’outil de diagnostic territorial, l’extension du « Prado » (dispositif de retour à domicile), la généralisation des équipes spécialisées en cardiologie, la télémédecine et des incitations financières. « La mobilisation des pharmaciens » est souhaitée, mais « les points de parcours sur lesquels ils peuvent intervenir » restent à définir, dixit Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la Cnam.

L’insuffisance cardiaque coûte 3 milliards d’euros par an à l’Assurance maladie, pour 846 000 patients. 42,3 % de cette somme sont consacrés aux hospitalisations(1). Elle touche 2 à 3 % de la population et 10 % des plus de 75 ans(2).

(2) Livre blanc pour une prise en charge de l’insuffisance cardiaque et des cardiomyopathies, Société française de cardiologie (SFC)-Groupe insuffisance cardiaque et cardiomyopathies (Gicc), 27 septembre 2021.