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Le marché nébuleux du CBD

Publié le 26 octobre 2022
Par Magali Clausener
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Les produits « bien-être » à base de cannabidiol (CBD) s’achètent en masse sur Internet, dans les CBD shops et en pharmacie. Les produits alimentaires, dont les compléments au CBD, ne sont pas encore autorisés, mais certains fabricants surfent sur la réglementation floue. Le point pour séparer le bon grain de chanvre de l’ivraie…

Le CBD, 65 % des Français en ont entendu parler, 17 % d’entre eux y recourent et 26 % ont l’intention d’en faire usage(1). Gérer le stress ou l’anxiété, les variations d’humeur ou des troubles du sommeil sont les buts affichés des consommateurs, dont la plupart sont actifs ou étudiants, des femmes, les 15-24 ans et les 45-65 ans.

L’engouement des Français pour le cannabidiol prend de l’ampleur depuis cinq ans. Difficile de savoir si cette appétence est en lien avec l’utilisation importante de cannabis récréatif – les Français sont les Européens qui en consomment le plus – ou la soif de « naturel » pour traiter les maux du quotidien, mais des entreprises se sont engouffrées sur ce marché. Elles présentent le CBD comme une molécule active sur le stress, le sommeil, les douleurs, anti-inflammatoire, antioxydante, voire qui empêcherait la prolifération des cellules cancéreuses !

Quel est l’état du marché ?

Ce soi-disant ingrédient « miracle » est vendu dans plus d’un millier de boutiques spécialisées, appelées CBD Shops, la grande distribution et des pharmacies. Le marché mondial, estimé à 2 milliards de dollars, devrait atteindre les 7 milliards d’ici à 2025 (source : The Nielsen Company).

Le marché des extraits de chanvre, hors vente de fleurs, s’élèverait à 700 millions d’euros fin 2022 en France, premier producteur européen de chanvre à visée industrielle. Les fabricants ont intérêt à se positionner dès maintenant, en profitant d’un certain flou des réglementations française et européenne. Mais cet enjeu économique ne doit pas occulter celui de santé publique. Quels sont les effets du cannabidiol ? Faut-il inciter à l’employer dans une optique de « bien-être » ? Quels produits peuvent vendre les pharmacies ? Autant de questions essentielles pour les officinaux, qui sont très sollicités par leurs clients et les fabricants.

Nous nous intéresserons ici uniquement au CBD présent dans des produits non médicamenteux : cosmétiques et denrées alimentaires ou assimilés compléments alimentaires, huiles, tisanes, etc.

Qu’est-ce que le cannabis ?

Le cannabis (Cannabis sativa L.)(1) est le nom latin du chanvre, plante de la famille des Cannabaceae. Il existe plusieurs types selon la teneur en delta-9 tétrahydrocannabinol (THC), substance psycho-active enivrante. Les principaux sont sativa de type « fibres » (peu de THC) et indica de type « drogue » (forte teneur en THC et faible teneur en cannabidiol).

Que contient la plante cannabis ?

La plante de chanvre, ou Cannabis sativa L., renferme une soixantaine de cannabinoïdes tels que le CBD, le THC, le cannabinol (CBN), mais aussi des terpènes, des flavonoïdes, des phytostérols, etc. (voir encadré p. 22). Selon la génétique et l’environnement (climat…), la plante sera plus ou moins riche en THC, CBD, fibres…

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Est-elle autorisée en France ?

Seule la culture de certaines variétés de Cannabis sativa L est permise, avec une teneur en THC non supérieure à 0,3 %(2) : Carmagnola, Fedora, Futura, etc. La teneur en CBD varie de 5 à 6 %, et jusqu’à 12 % pour les variétés « Midwest » et « Northwest » ! Sont aussi autorisées l’importation, l’exportation et l’utilisation, à des fins industrielles et commerciales, de variétés de Cannabis sativa L dépourvues de propriétés stupéfiantes ou de produits contenant de telles variétés (article R. 5132-86-1 du code de la santé publique).

Qu’est-ce que le CBD ?

Découvert en 1940, le cannabidiol « est une substance active qui appartient à la centaine de phytocannabinoïdes présents dans le cannabis », explique le Pr Nicolas Authier, psychiatre, chef du service de pharmacologie médicale et du Centre d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) au CHU de Clermont-Ferrand (63) et président du Comité de suivi « cannabis médical » de l’ANSM, dans son ouvrage Le Petit Livre du CBD (éd. First, 2022).

Où en trouver dans la plante ?

→ Le CDB est présent dans les inflorescences (ou fleurs) femelles. Il n’y a pas de CBD dans les graines, dans les pieds mâles et dans l’huile extraite des graines de chanvre.

→ La teneur en CBD dans les feuilles dépend surtout de l’environnement (climat, etc.) et des types.

→ Le CBD est insoluble dans l’eau mais soluble dans les graisses, d’où l’usage d’huiles végétales pour accroître sa biodisponibilité par voie orale.

Quels sont les différents extraits contenant du CBD ?

Il existe trois grandes catégories de produits à base de CBD extraits de la plante.

→ Les extraits à « spectre complet » contiennent l’ensemble des substances extraites des fleurs dont le THC, mais inférieur ou égal à 0,3 %.

→ Les extraits à « spectre large » comportent très peu de THC.

→ Les isolats, produits raffinés constitués a minima de 95 % de CBD.

Le CBD s’obtient aussi par synthèse avec des levures génétiquement modifiées, par hémisynthèse avec du D-limonène, terpène de l’écorce d’orange, et par synthèse chimique totale. Ces méthodes sont très coûteuses. De fait, le CBD est en général obtenu par extraction.

Comment agit le CBD ?

Il se lie « dans le corps humain à plusieurs dizaines de récepteurs différents » mais sans se traduire automatiquement par un effet thérapeutique, explique le Pr Authier dans son ouvrage. Le CBD agit sur le système endocannabinoïde, via les récepteurs CB1 (peu) et CB2, impliqué dans des fonctions physiologiques : immunité, développement et plasticité neuronale, régulation de l’appétit, inflammation douleur, mémoire, développement osseux, etc. Le CBD agit aussi sur les récepteurs de la sérotonine, avec des effets potentiels sur l’humeur ou le sommeil, de la dopamine, avec des « effets potentiels sur des processus émotionnels, moteurs, addictifs », et les récepteurs GABA, c’est-à-dire « le système qui ralentit le fonctionnement du cerveau (effet anxiolytique, relaxant musculaire, antiépileptique) et sur lequel se fixent aussi l’alcool ou les anxiolytiques et somnifères ».

Le CBD interagit avec une famille de récepteurs TRP (Transient Receptor Potential) impliqués « dans les processus immunitaires, endocriniens, cardio-vasculaires, rénaux, inflammatoires, la survie des neurones, le renouvellement de la peau et des os, de nombreux types de cancers, la mémoire, l’épilepsie, les accidents vasculaires cérébraux et la sensibilité à la douleur », détaille Nicolas Authier. Via le récepteur TRPV1 (Transient Receptor Potential Vanilloïd), dont il est un activateur, le CDB « pourrait induire des effets d’atténuation de la douleur, mais aussi des effets anti-inflammatoires », ainsi que « des effets protecteurs sur les neurones en diminuant leur excitabilité ». Le cannabidiol est également « un activateur du récepteur PPAR gamma et peut ainsi participer à la régulation des taux de sucres et de lipides dans le corps humain ».

A-t-il des effets psycho-actifs ?

Oui. « Par son effet sur des récepteurs localisés dans le cerveau, le cannabidiol peut être considéré comme un produit psycho-actif », écrit le Pr Authier. « Sa consommation peut donc avoir des effets psycho-actifs, de sédation et de somnolence », explique Joëlle Micallef, pharmacologue, présidente du réseau français d’Addictovigilance, dans L’Indispensable sur le cannabidiol, de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). Alors que le THC est responsable des effets euphorisants et récréatifs du cannabis, à l’origine de son classement comme stupéfiant, le CBD n’entraîne pas de tels effets mais, oui, il agit sur le cerveau, ce qui expliquerait probablement une partie de ses éventuels bénéfices thérapeutiques.

Existe-t-il des interactions médicamenteuses ?

Oui. Des interactions pharmacocinétiques entre le CBD et des antiépileptiques, anticoagulants, immunosuppresseurs ou la méthadone ont été mises en évidence. « De ce fait, le traitement médicamenteux de patients atteints de maladie chronique peut être impacté », observe Joëlle Micallef. Le CBD agit notamment sur les cytochromes P450, qui sont les enzymes du métabolisme (voir Porphyre n° 587, juin 2022). Il est principalement un inhibiteur 3A4, 2C9, 2D6, avec un risque de surdosage des médicaments associés. Et tout dépend également des doses de CBD.

Ses effets sont-ils prouvés ?

L’efficacité du CBD à faible dose contre le stress, l’anxiété ou l’insomnie n’est pas scientifiquement prouvée. Si le CBD peut avoir de potentiels effets anti-inflammatoires, antioxydants, aucune étude sur l’homme ne le démontre pour de faibles doses. Idem pour ses actions sur les processus dans lesquels interviennent les canaux TPRV1. « La vraie question est celle des allégations santé, souligne ainsi Nicolas Authier. Le CBD “bien-être” est volontairement mal défini pour ne pas entrer dans les allégations santé ». De nombreux fabricants et sites Internet utilisent pourtant des termes comme « Apaise la douleur » ou « Combat les douleurs inflammatoires ». Certains n’hésitent pas à s’appuyer sur de potentiels effets sur l’endométriose, la préservation des os.

Quels produits alimentaires avec du CBD sont autorisés en France ?

Un arrêté du 30 décembre 2021 a fixé des règles en la matière.

→ Les produits contenant plus de 0,3 % de THC sont considérés comme des stupéfiants et interdits à ce titre.

→ Le CBD n’est pas inscrit sur la liste des stupéfiants. Les produits qui en contiennent (sans ou avec un taux de THC inférieur ou égal à 0,3 %) peuvent être commercialisés sous réserve d’être conformes aux réglementations sectorielles propres à chaque type de catégorie de produits. C’est ce dernier point qui est important.

→ Pour l’instant, il n’existe aucune autorisation de commercialisation d’aliments contenant du CBD, compléments alimentaires compris. « Les compléments alimentaires avec du CBD ne sont ni enregistrés ni autorisés et leurs allégations santé ne sont pas reconnues », résume le Dr Pierre Champy, professeur de pharmacognosie à l’université Paris Saclay.

Explication. Depuis le 7 juin 2022, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a suspendu les évaluations du cannabidiol en tant que nouvel aliment, ou « novel food », dans l’attente de données. Le CBD et les produits alimentaires qui en contiennent ne peuvent pas être commercialisés sans évaluation et autorisation de l’Efsa, qui a reçu de nombreux dossiers de demande(3). « Nous avons identifié plusieurs dangers potentiels liés à la consommation de CBD et avons établi que les nombreuses lacunes dans les données disponibles concernant ses effets sur la santé devraient être comblées avant que ces évaluations puissent se poursuivre. Il est important de souligner à ce stade que nous n’avons pas conclu que le CBD était dangereux en tant qu’aliment », a déclaré le professeur Dominique Turck, président du panel NDA (nutrition, nouveaux aliments et allergènes alimentaires) de l’Efsa.

Les données manquantes portent sur les effets du CBD sur le foie, le tractus gastro-intestinal, le système endocrinien, le système nerveux et le bien-être psychologique. « Des études chez l’animal montrent certains effets indésirables importants, notamment en ce qui concerne la reproduction. Il est important de déterminer si ces effets sont aussi observés chez l’homme », explique l’Efsa. Il faudra attendre au moins deux ans selon l’Efsa, l’été 2023 selon d’autres. À noter : le CBD est un additif non autorisé dans les aliments pour animaux selon la réglementation européenne.

Et dans les cosmétiques ?

« Le CBD fait partie des ingrédients pouvant entrer dans la composition des produits cosmétiques. Comme il ne fait pas partie de la liste des substances soumises à des restrictions, il n’y a pas de concentration maximale autorisée, observe Catherine Bramaud, conseillère scientifique à la Fédération des entreprises de la beauté (Febea). Il est de la responsabilité de chaque fabricant de cosmétiques d’en définir des conditions d’utilisation sûres grâce à l’expertise de la personne en charge de l’évaluation de la sécurité du produit, et également de justifier de l’efficacité du produit qui contient du CBD. Il peut donc y avoir des différences de concentration selon les produits. »

Selon la Febea, quatre fonctions du CBD sont identifiées : anti-sébum, antioxydant, agent d’entretien de la peau et agent protecteur (plus d’infos sur regard-sur-les-cosmetiques.fr). Face à la multiplication des cosmétiques au CBD, la Commission européenne pourrait demander à son comité scientifique d’évaluer le CBD dans les cosmétiques et ses effets. « C’est un processus normal dans le secteur cosmétique », relève Catherine Bramaud. Et fixer des concentrations maximales. En revanche, toute allégation thérapeutique des cosmétiques est interdite.

Quels autres produits tirés du chanvre sont autorisés ?

Les graines de chanvre et leurs dérivés, par exemple l’huile des graines, sont des ingrédients autorisés pour les produits alimentaires, car exempts de CBD. Attention ! certains fabricants affichent « CBD » sur l’étiquette alors que leur produit ne contient que des graines de chanvre !

Consommer fleurs et feuilles de chanvre est-il permis ?

Oui, dans l’attente de la décision du Conseil d’État. Fleurs, feuilles, tisanes aux fleurs et feuilles de cannabis peuvent être vendues à condition que la teneur en THC soit inférieure ou égale à 0,3 %. Mais le CBD des fleurs femelles n’étant pas hydrosoluble, « une tisane de fleurs de chanvre avec de l’eau n’a aucun effet », commente Nicolas Authier.

Explication. L’arrêté du 30 décembre 2021 (Journal officiel du 31 décembre 2021) a interdit la vente aux particuliers et la consommation des fleurs et des feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients, des variétés de Cannabis sativa L., même si la teneur en THC de ces fleurs et feuilles est inférieure à 0,3 %(2). Saisi par des acteurs de la filière du chanvre, le Conseil d’État a suspendu « à titre provisoire » cette disposition le 24 janvier 2022. Il doit se prononcer définitivement au fond sur la légalité de l’arrêté contesté. En attendant, la vente et la consommation sont autorisées.

Que peuvent vendre les pharmacies ?

« Les produits cosmétiques contenant comme ingrédient du CBD pur ou des dérivés du cannabis respectant les interdictions listées à l’annexe II du règlement communautaire relatif aux produits cosmétiques peuvent être vendus », a indiqué l’Ordre des pharmaciens le 19 mai 2022. Et, « seules les graines et les fibres de chanvre ainsi que leurs produits dérivés, comme les huiles, sont autorisés en tant que denrées alimentaires (y compris les compléments alimentaires), aliments pour animaux ou en tant qu’ingrédient de ces produits ». Pour mémoire, le pharmacien ne peut vendre que les produits indiqués sur la liste des marchandises autorisées (arrêté du 15 février 2002 modifié). Il est responsable du référencement tout en s’assurant de sa pertinence scientifique et sanitaire. « Il est interdit au pharmacien de délivrer un médicament non autorisé » (article R. 4235-47 du CSP). Et « le pharmacien doit veiller à ne jamais favoriser, ni par ses conseils ni par ses actes, des pratiques contraires à la préservation de la santé publique. Il doit contribuer à la lutte contre le charlatanisme » (article R. 4235-10 du CSP). De plus, il doit vérifier que les produits contenant du CBD ne revendiquent pas d’allégations thérapeutiques, à moins d’avoir été autorisés comme médicaments. Et leur publicité ne doit pas entretenir de confusion ou faire l’amalgame avec une consommation de cannabis à usage récréatif, et en faire ainsi sa promotion.

Pourquoi des fabricants vendent encore des produits alimentaires avec du CBD ?

La confusion sur le marché du CBD est due aux évolutions récentes de la législation. « Il existe un important décalage entre la réglementation et la réalité du marché du CBD, explique Claire Guignard, responsable des affaires publiques et de la communication du Syndicat national des compléments alimentaires (Synadiet). Le CBD était officiellement interdit en France il y a un an, mais dans le même temps, l’arrêt du 19 novembre 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans l’affaire dite Kanavape, a affirmé que l’interdiction générale française du CBD était contraire au droit de l’Union européenne car l’effet stupéfiant du CBD n’était pas démontré. Ce qui a conduit à l’arrêté du 30 décembre 2021, qui libéralise partiellement la mise sur le marché du CBD dans certaines catégories de produits. Des produits au CBD ont donc continué à être commercialisés. » De plus, jusqu’en 2019, seuls certains extraits de CBD, selon leur concentration, étaient considérés comme des « novel foods » non autorisés. « Nous sommes dans l’attente des autorisations de l’Efsa. Pour l’instant, il y a très peu de contrôles sur le marché ».

Les modifications successives de la réglementation expliquent cette situation où des produits alimentaires au CBD sont encore commercialisés dans des magasins et sur Internet. C’est pourquoi Synadiet demande une clarification de la réglementation des denrées alimentaires et des compléments alimentaires contenant du CBD.

Quel rôle doivent jouer les officines ?

D’abord, les pharmacies doivent retirer de la vente les compléments alimentaires au CBD dans l’attente des autorisations de l’Efsa et d’une réglementation plus claire en France. Puis, informer et conseiller. « Les pharmaciens sont responsables des produits qu’ils vendent, de leurs patients et de la santé publique, commente René Maarek, titulaire, président de l’UPRP-USPO d’Île-de-France. Pour cette raison, ils doivent s’emparer du sujet du CBD, pour éviter que leurs patients achètent n’importe quel produit sans conseil dans des boutiques et sur Internet. 35 % des produits sont illégaux. Certains contiennent plus de 0,3 % de THC, d’autres n’ont aucune traçabilité de la biomasse ou contiennent des résidus de pesticides ou de métaux lourds ». Les officinaux doivent se former : « Nous avons tous des systèmes endocannabinoïdes différents, expliquant que l’on ne réagit pas de la même façon en fonction du dosage et des phytocannabinoïdes. Il faut trouver le bon phytocannabinoïde à la bonne dose. Le conseil est primordial ».

Le CBD représente un enjeu économique pour les officines. « Il faut faire le ménage sur ce marché. Tous les jours, un nouveau laboratoire nous contacte pour vendre des produits au CBD, parfois farfelus ! », affirme Audrey Lecoq, fondatrice de la plateforme Pharmazon, qui regroupe des pharmacies et vend en ligne des produits de santé et de beauté. Elle est néanmoins claire : « Les pharmacies doivent s’emparer du marché. Elles devront vendre des produits au CBD qualitatifs en apportant du conseil. » En attendant, « dès la mise au point de l’Ordre des pharmaciens, nous avons retiré tous les produits au CBD, sauf des références de produits sublinguaux du laboratoire Evielab [voir encadré p. 19] et des tisanes », précise Audrey Lecoq. Un choix assumé : « C’est vrai que nous sommes “limite”. La réglementation est floue et nous nous engouffrons dans la brèche. Il vaut mieux que nous soyons présents plutôt que laisser les autres prendre le marché. Je suis sur le fil mais cela fait avancer la profession ».

(1) Étude Ifop pour Atelier Populaire par questionnaire auto-administré en ligne du 1er au 8 juin 2022 auprès d’un échantillon de 1 000 personnes représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus résidant en France métropolitaine.

(2) L. pour Linnaeus. Carl von Linné, naturaliste suédois, a inventé la nomenclature des espèces.

(2) La plante de chanvre doit avoir une teneur en THC qui n’est pas supérieure à 0,3 %, en cohérence avec les règles relevant de la Politique agricole commune au 1er janvier 2023.

(3) efsa.europa.eu/fr/news

Le CBD dans les médicaments

CBD et THC sont les principes actifs des médicaments testés dans l’expérimentation « cannabis médical » par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM, lire Porphyre n° 572, mars 2021, et n° 587, juin 2022), sous formes d’huiles à ingérer et de fleurs à vaporiser. Le CBD est le principe actif de l’Epidyolex, médicament avec AMM indiqué en association au clobazam, dans le traitement de certaines crises d’épilepsie. Le CBD synthétique est aussi utilisé en préparations magistrales dans certaines maladies, mastocytose, érythermalgie, etc. (lire Porphyre n° 585, avril 2022).

Arkopharma dans les starting-blocks

Le laboratoire Arkopharma propose une crème et un roll-on avec du CBD dans sa gamme Chondro-Aid Flash (articulations). Pas de problème, le CBD est autorisé pour ces topiques. Il commercialise aussi Arkogélules Cannabis sativa, des capsules à l’huile de graines de chanvre, et Arkorelax Cannabis sativa, des comprimés avec différents ingrédients, dont de l’huile de graines de chanvre. « Nous sommes sur une ligne extrêmement légaliste, que nous rappelons d’ailleurs aux professionnels de santé et aux acteurs de la filière du chanvre, explique Isabelle Socquet, pharmacienne en charge de la communication scientifique. Le lancement de tels produits permet également d’informer les pharmaciens et leurs équipes, et de les former sur la plante, les parties utilisées, le cadre réglementaire. » Selon le laboratoire, l’huile de graines de chanvre est reconnue pour ses actifs nutritionnels et sa richesse en acides gras saturés.

Evielab vend à l’étranger

La société française Evielab produit et vend une gamme de « perles » sublinguales au CBD destinées à booster l’immunité, combattre le stress, se relaxer… Tous les produits sont des isolats avec 0 % de THC et des terpènes. « Nous ne vendons plus aux pharmaciens français, affirme Xavier Suid, fondateur d’Evielab. Le CBD n’a pas de statut en France et dans l’Union européenne. En revanche, nous les commercialisons au Japon et au Royaume-Uni, où il est autorisé. Le CBD ne soigne pas mais aide à mettre en condition. Si vous êtes sous traitement et que vous êtes détendu, vous répondrez mieux au traitement » (alors que les experts en pharmacovigilance déconseillent d’utiliser le CBD avec d’autres médicaments, NDLR). Xavier Suid déplore le marché actuel de « non-spécialistes » ainsi que l’opportunisme commercial.

Bioactif hors des clous

Bioactif a lancé des pastilles CBD bio (5, 10 et 20 mg) ciblant les femmes de tout âge pour préserver les os, optimiser les performances sportives, réduire le stress… La société vend aussi un sérum à l’huile de noisette au CBD. Si celui-ci peut se trouver en officine, ce n’est pas le cas des pastilles. Romain Pousse, le fondateur, explique que les pastilles sont des « alicaments » (notion marketing sans fondement réglementaire, NDLR) vendus en pharmacies et parapharmacies. « Nous avons déposé un dossier “novel food” à l’Efsa. Notre CBD “bio” provient d’Autriche et nous faisons appel à un laboratoire extérieur pour vérifier la teneur en CBD et en THC de nos produits. »

D’autres ambiguïtés

Flavonoïdes, terpènes, tiges de cannabis sont parfois présentés comme contenant du CBD et ce n’est pas le cas. « Les fleurs comportent des flavonoïdes, c’est le cas de tous les végétaux terrestres, mais il n’y a pas d’activité pharmacologique attendue. Les flavonoïdes constituent une classe de composés différente des cannabinoïdes », détaille le Dr Pierre Champy, professeur de pharmacognosie à l’université Paris Saclay. Et les terpènes ? « Les fleurs en renferment. Il s’agit notamment de composés volatils qui donnent une huile essentielle par entraînement à la vapeur d’eau, dont il existe plusieurs chimiotypes. Ce sont principalement des sesquiterpènes (myrcène, bêta-caryophyllène, alpha-humulène…), présentés comme participant à un “effet d’entourage” (= contribuant à l’activité globale). Les activités pharmacologiques sont modérées (anti-inflammatoire). Ces composés sont susceptibles d’être partiellement éliminés au traitement de l’extrait lors de l’évaporation du solvant ».