Les secrets d’une relation durable
Fidélisation. Le mot a longtemps été tabou dans les officines. Mais les temps changent, la concurrence s’accroît, les nouvelles technologies ouvrent le champ de la facilité… et de l’efficacité. Profitez-en !
Circulez, y a rien à voir… Telle sera peut-être votre première réaction en commençant à lire ce dossier dédié à la fidélisation en officine. Vous avez raison — sur le papier. L’article R. 5125-28 du code de santé publique prive a priori les pharmaciens de toute possibilité de fidéliser leurs clients. Mais, en pratique, l’imprécision de ce texte et les contradictions de la jurisprudence donnent une certaine liberté de mouvement aux pharmaciens (voir encadré p. 16). Réfléchissez-y sans plus tarder ! D’après Mathias Raimbault, un consultant spécialisé dans le développement des pharmacies, « avec les nouvelles missions, les pharmaciens offrent et vendent de nouveaux services sur lesquels ils doivent communiquer. C’est donc maintenant qu’il faut investir dans la fidélisation ».
1° Jouer la carte
Une alliance au point
Certains pharmaciens n’ont pas attendu pour s’engouffrer dans la brèche réglementaire en proposant l’une des cartes de fidélité diffusées par les groupements et les laboratoires. Titulaire à Thouaré-sur-Loire, à une quinzaine de kilomètres de Nantes, Frédérique Cheymol a adopté il y a trois ans la carte de fidélité Pharmactiv après avoir rejoint le réseau Optimum. « À l’époque, je venais d’aménager un espace très différencié pour la parapharmacie, avec une ambiance qui rappelle l’univers de la parfumerie et une esthéticienne chargée de l’animer, raconte-t-elle. Je me suis dit que ce programme de fidélité pouvait constituer un levier intéressant pour booster cette activité dans un contexte très concurrentiel en termes de prix. » Aujourd’hui, le pari de la pharmacienne a visiblement porté ses fruits. Plus de cinq cents clients ont accepté d’adhérer à ce programme géré par son groupement et qui lui coûte un euro par carte distribuée. « Pour chaque personne qui accepte le programme, nous rentrons sur le logiciel Pharmactiv son identité, son adresse e-mail, sa date de naissance, ainsi que son numéro de téléphone portable. » Conçu sur le modèle du « cagnotage », le système donne droit au bout d’un certain nombre de points à un bon d’achat sur la dermo-cosmétique : « Tous les jours, je distribue en moyenne deux bons-cadeaux. Cela prouve que les clients fidélisés achètent plus que les autres », constate Frédérique Cheymol, qui estime aussi avoir recruté de nouveaux consommateurs. « Sous l’impulsion du bouche à oreille, on a vu arriver dans la pharmacie des gens qui n’achetaient pas leur parapharmacie chez nous, et qui n’habitent pas dans notre zone de chalandise ». Ce programme lui a aussi permis de rester compétitive sans casser les prix. Résultat : le pourcentage de la parapharmacie dans le CA global de l’officine est passé en trois ans de 13 % à 20 %.
2° Une sacrée base !
Découvrir l’autre
Qu’on se le dise, la carte de fidélité ne fait pas tout. « Le monde de la pharmacie a longtemps cru que c’était la carte qui faisait la fidélisation. Ce n’est pas vrai, assure Mathias Raimbault. C’est la gestion et l’animation d’une base de données consommateurs qui constituent le cœur d’une stratégie de fidélisation. Car si une base est qualifiée, avec des clients qui ont accepté d’y être inscrits pour recevoir des messages promotionnels, et avec des informations complémentaires comme le sexe, le nombre d’enfants ou les marques préférées qui permettent de cerner les profils consommateurs, les taux de retour seront bien meilleurs. Ce qui permet de doper le nombre de visites par an et le panier moyen des clients fidélisés, deux indicateurs qui doivent servir à mesurer l’efficacité d’un programme. » Pour optimiser la connaissance de ses clients et personnaliser ses offres, Naturactive, le laboratoire du groupe pharmaceutique Pierre Fabre, a initié en partenariat avec Axciom une véritable stratégie CRM* (gestion de la relation clients). « Dans un premier temps, nous nous sommes appuyés sur une base de 22 millions de foyers afin d’identifier les segments de population les plus réceptifs à chaque gamme de nos produits, confie Christophe Pigney, directeur marketing stratégique de Naturactive. Dans un second temps, nous avons réalisé une enquête en ligne sur les habitudes de consommation des clientes Naturactive et un jeu-concours. Ce qui nous a permis de collecter 138 000 adresses e-mail de consommateurs. » Pour animer cette base, le laboratoire a envoyé en mai 2012 une première newsletter à 185 000 internautes. « Grâce au travail de qualification effectué sur la base, nous avons enregistré un taux d’ou verture de 25 % sur ce premier envoi et plus de 5 000 personnes ont participé au jeu concours Doriance », dévoile Christophe Pigney. Fort de cette connaissance client, Naturactive mène également des campagnes d’e-mailing adaptées à chaque segment identifié dans sa base. « Les clientes adeptes des capsules solaires ont ainsi reçu un message pour un tirage au sort permettant de gagner une boîte de Doriance autobronzant », précise Christophe Pigney, qui rappelle au passage que cette stratégie CRM n’a qu’un seul objectif : inciter les consommateurs à se rendre dans les officines. « Nous avons d’ailleurs mis en ligne sur notre site Internet le Pharmalocator, une application qui permet de localiser les pharmacies les plus proches qui commercialisent les produits Naturactive ».
Faire plaisir
Signe des temps, certains titulaires ne se cachent plus derrière leur groupement ou les laboratoires pour fidéliser leurs clients. Ainsi Adelya, une société spécialisée dans la fidélisation, compte parmi ses clients des pharmacies qui ont adopté Loyalty Operator, une plateforme de services marketing développée spécialement pour les commerçants indépendants. « Cet outil regroupe tous les outils marketing dont a besoin un commerçant pour nouer des relations efficaces avec ses clients, comme peuvent le faire les groupements ou les enseignes », assure Cécile Morel, responsable marketing d’Adelya. Au cœur du dispositif, on retrouve une carte de fidélité classique NFC ou une carte de fidélité mobile nichée dans le smartphone du client. « En général, les pharmaciens ne distribuent pas de cartes. Ils se contentent de rentrer dans la base de données les profils des clients qui souhaitent bénéficier des avantages du programme qui concernent exclusivement les produits de dermo-cosmétique. » Une fois la base constituée, le pharmacien peut adresser aux détenteurs de la carte qui ont donné leur accord pour être sollicités des e-mails, des SMS ou des courriers pour les informer qu’un nouveau produit vient de sortir, qu’une promotion leur est proposée ou qu’une animation aura lieu dans la pharmacie à telle date… « La plateforme permet aussi de se différencier en termes d’image, souligne Cécile Morel. Lorsque le client passe sa carte ou son téléphone devant le lecteur positionné devant le comptoir, une fiche s’ouvre automatiquement avec son nom, l’historique de ses dernières visites, le nombre de points qu’il a sur son compte… Autant d’informations qui permettent de personnaliser l’accueil et la relation… » Pour ouvrir l’accès à l’ensemble de ce programme, Adelya facture 19 euros HT par mois jusqu’à 150 clients actifs et 99 euros jusqu’à 1 500 clients actifs, auxquels il faut ajouter le prix du lecteur : 85 € HT. Le tarif est d’ailleurs l’un des éléments clés dans le choix d’un programme de fidélité car certains acteurs facturent à l’acte pendant que d’autres vous garantissent une augmentation du CA sur laquelle il prélève un pourcentage. « Je ferais plutôt confiance à ceux qui privilégient un modèle économique basé sur un pourcentage prélevé sur un indicateur de fidélisation comme le panier moyen annuel. Cela veut dire que le pharmacien n’aura rien à investir et que le prestataire a confiance dans sa plateforme », conseille Mathias Raimbault.
3° Loindes yeux
Vive le clic !
Pour fidéliser, certains déploient la panoplie complète du cyberpharmacien. Cotitulaire de la Pharmacie Anglaise des Champs-Élysées à Paris, Patrice Le Cardiet a mis en ligne il y a quelques mois un nouveau site Internet qui intègre une boutique en ligne de parapharmacie, une page Facebook qui affiche déjà 1 840 mentions « J’aime », un fil Twitter et un blog. « C’est mon fils, qui est pharmacien dans l’industrie et féru de nouvelles technologies, qui m’a proposé de concevoir tout cela à ses moments perdus. J’ai fini par accepter car nous avons régulièrement des clients qui nous appellent au téléphone pour commander des produits de parapharmacie qu’ils ont l’habitude d’acheter chez nous. » Positionnée pour séduire sa clientèle de prestige venue du Golfe, d’Afrique et des États-Unis, la boutique en ligne propose une sélection de produits haut de gamme et spécifiques à cette pharmacie pas tout à fait comme les autres : les brosses à cheveux anglaises Mason Pearson, les grandes marques de parapharmacie françaises et étrangères comme Darphin, Filorga, Delarom… « Nous n’avons pas voulu faire un site orienté sur le prix car, aujourd’hui, vous trouvez sur Internet tout et n’importe quoi, explique Patrice Le Cardiet. Les tarifs affichés sur le site sont donc exactement les mêmes que dans la pharmacie. » S’il est encore trop tôt pour dresser un premier bilan, Patrice Le Cardiet se montre confiant, même si, sur le plan commercial, il n’y a pour l’heure aucune retombée. « Ce n’est pas grave car l’objectif n’est pas d’en faire un outil rentable. Il s’agit plutôt d’une question d’image et de prendre date pour l’avenir. » Titulaire de la pharmacie Jeanne-d’Arc à Grenoble, Nicolas Baudon a choisi, lui, une stratégie plus ciblée pour entretenir le lien avec ses clients sur la Toile. « Pour mes deux premières pharmacies, j’avais mis en ligne des sites Internet qui, pour être honnête, n’étaient vus par personne. Alors l’année dernière, lorsque j’ai pris les rênes de l’officine, j’ai décidé d’oublier Internet pour ouvrir une page Facebook. » Positionnée comme un véritable site d’informations, sa page recense les promotions et les animations proposées dans l’officine, les nouveaux produits. Un an après la mise en ligne, Nicolas Baudon ne regrette pas son choix. « Quand vous tapez le nom de ma pharmacie sur Google, ma page arrive systématiquement en première position. Et sur Internet, il n’y a que ça qui compte… J’en veux pour preuve l’audience. Sur les Pages Jaunes, j’avais au grand maximum 40 visites par an. Sur Facebook, j’en ai 600. » Cette visibilité lui a d’ailleurs permis d’attirer une nouvelle clientèle. « Trois ou quatre fois par semaine, de nouveaux clients poussent les portes de l’officine en m’expliquant qu’ils ont vu sur Facebook que je vendais des produits à prix coûtant ».
Messages postés
C’est Twitter qu’utilise pour sa part Yann Lanoë, titulaire de la pharmacie du Cormier à Rennes. Autant par plaisir que par intérêt professionnel. Sur son fil, il communique à la mode « Twittos », en moins de 140 caractères sur l’actualité de son officine, mais aussi sur tout ce qu’il aime. « À côté des promotions ou des campagnes que nous organisons sur le diabète, l’obésité, le tabac ou l’hypertension, je peux parler des Transmusicales qui sont organisées chaque année à Rennes. Il m’arrive aussi de retwitter les informations de mon groupement. » Toutes les informations liées à l’activité de sa pharmacie renvoient systématiquement vers son site Internet hébergé sur la plateforme de Pharmactiv, et qui est animé par la société Pharmadomicile « Ma pharmacie étant située dans un quartier où il y a relativement peu de passage, je dois trouver d’autres leviers pour la faire connaître. Je prends donc tout ce qui peut me permettre de dynamiser ma communication et fidéliser ma clientèle », conclut Yann Lanoë.
Customer Relationship Management
Du côté de la loiCE QUE DIT LE CODE Non mais… oui
Il est interdit aux pharmaciens d’officine d’octroyer à leur clientèle des primes ou des avantages matériels directs ou indirects, de lui donner des objets ou produits quelconques à moins que ceux-ci ne soient de valeur négligeable, et d’avoir recours à des moyens de fidélisation de la clientèle pour une officine donnée. » A priori, l’article R. 5125-28 du code de la santé publique proscrit clairement le recours à la fidélisation. Mais pour Maître Matthieu Blaesi, associé du cabinet d’avocats Sapone-Blaesi, spécialisé dans le droit de la pharmacie, les choses ne sont pas aussi simples. « D’abord, parce que cet article est extrêmement mal rédigé. Il ne fait pas de distinguo entre ce qui relève du monopole pharmaceutique et de l’activité de parapharmacie. Et comme en plus il est situé dans la partie du code de santé publique qui concerne la vente de médicaments, tout ceci laisse une grande part à l’interprétation. » D’où les hésitations et les contradictions de la jurisprudence, comme le confirme l’avocat. « Certaines décisions prononcées par les chambres régionales de l’ordre sanctionnent par principe, en considérant que la fidélisation entre dans le cadre de la sollicitation de clientèle. D’autres n’ont pas sanctionné en considérant que les dispositifs avaient été mis en place de manière respectueuse, non outrancière, et sans nuire à personne. Vous avez enfin des décisions, beaucoup plus rares, qui stipulent que cet article R. 5125-28 ne concerne que les médicaments et pas la parapharmacie. »
Y.R.
Pharmacie mobileNe me quitte pas…
La révolution smartphone est en marche, et rien ne l’arrêtera. Il suffit de se rendre sur l’Appstore pour s’apercevoir que les acteurs de l’univers officinal ont senti le vent venir. Les groupements Plus Pharmacie (iPharmavie et iFamilyprix), Univers Pharmacie, PHR (iPharmacien) ou Forum Santé possèdent tous leur application mobile. Même constat du côté des éditeurs de logiciels de pharmacie comme WinPharma et Pharmagest qui sont eux aussi présents sur ce nouveau marché avec WinPharmacie et MaPharmacieMobile, cette dernière revendiquant pas moins de 65 000 téléchargements depuis son lancement en février 2011.
Toutes ces applications sont conçues pour prolonger le lien entre la pharmacie et ses clients. Parmi les principales fonctionnalités proposées, on retrouve la possibilité de trouver la pharmacie la plus proche, l’envoi et le renouvellement d’ordonnances à son pharmacien, la réception d’alertes de prise et de posologie ou encore la possibilité de déclarer les effets indésirables rencontrés lors d’un traitement lié à une ordonnance. Certaines applications permettent aussi de consulter des fiches santé ou les équivalences entre les médicaments de marque et leurs génériques. L’application Forum Santé va, elle, plus loin en permettant d’acheter en ligne et de se faire livrer à domicile des produits à la marque de ? l’enseigne. Toujours dans l’optique de fidéliser, certaines applications permettent aux pharmaciens de diffuser leurs offres promotionnelles ou des informations pratiques comme l’organisation d’animations thématiques ou de séances de dépistage.
Gagner du temps
On commence également à voir apparaître des fonctionnalités liées au suivi du dossier médical. « Sur notre application winPharmacie, qui est accessible sur smartphone et Internet, le client a accès 24 h/24 à son dossier médical qui est centralisé par son pharmacien : ordonnance, posologie, scans, médecins, explique Bénédicte Karpov, présidente du Réseau Winpharma. Afin de renforcer son rôle centralisateur, le pharmacien peut en outre proposer à ses patients de scanner leurs résultats d’analyses ou d’IRM, leur compte rendu opératoire… » Co-titulaire de la pharmacie Saint-Paul, à Cambrai dans le Nord, Amand Panien a adopté il y a dix-huit mois WinPharmacie, et pour lui, les premiers retours sont en courageants. « Je reçois via l’application en moyenne une vingtaine d’ordonnances à renouveler chaque mois, confie-t-il. Dès qu’une demande de renouvellement arrive, un pop-up s’affiche automatiquement sur tous les postes de l’officine. Après avoir vérifié si cette ordonnance est renouvelable ou pas, on prépare la commande et lorsque l’ordonnance est prête, il ne nous reste plus qu’à envoyer un mail ou un SMS pour avertir le patient qu’il peut passer à l’officine la chercher. Comme cela, tout le monde gagne du temps ».
Y.R.
Et ailleursLA CROISSANTERIE Craquante…
Deux ans après son lancement, le Pass Fidélité de La Croissanterie a déjà séduit 60 000 clients, soit près de 20 % de la clientèle qui fréquente ses 200 restaurants. Au cœur du dispositif : une carte de fidélité à code-barres 2D qui peut aussi être hébergée sur l’application mobile La Croissanterie ou sur la carte Navigo de la RATP. Une tablette positionnée juste devant la caisse fait office de lecteur, le client devant simplement passer sa carte ou son smartphone devant l’écran pour être identifié. « Pour bénéficier des avantages liés à la carte, il faut d’abord activer son compte sur notre site Internet en laissant son identité, son adresse e-mail et éventuellement son numéro de téléphone portable, explique Cécile Rabotin, responsable Web marketing de La Croissanterie. Les détenteurs de la carte cumulent des points à chaque achat, et au bout de 1 000 points, un menu leur est offert le midi, en sachant qu’un euro dépensé égale 10 points. » Les clients fidèles bénéficient également en exclusivité des deux ou trois promotions proposées tous les mois, un mail ou un SMS leur étant adressé chaque lundi pour leur présenter l’offre de la semaine. « Nous récompensons également les détenteurs de la carte qui viennent au restaurant en dehors des heures de rush le midi, complète Cécile Rabotin. Nous avons en effet mis en place une offre « happy hours » pour récompenser avec 50 % de points supplémentaires tous ceux qui viennent entre 11 h et 12 h, 14 h et 15 h et après 18 h. Et cela marche, car 20 % de nos clients fidélisés ont changé leurs habitudes pour bénéficier de cette prime, ce qui nous a permis de fluidifier le trafic dans nos restaurants. »
Y.R.
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