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Recherche médecins désespérément
Démographie et installation médicale sont des sujets sensibles. Pour les patients, bien évidemment, mais aussi pour vous. Vos témoignages montrent en effet à quel point le départ d’un médecin peut fragiliser votre exercice. Politiquement, le dossier cale régulièrement, malgré des projections démographiques alarmantes. A moins que les récentes initiatives parlementaires ou locales changent la donne. On peut toujours rêver…
Les débats autour de la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » ( HPST) ont démontré, si cela était encore nécessaire, à quel point tout ce qui pourrait égratigner la liberté d’installation relève du casus belli pour les syndicats médicaux. Ceux-ci ne jurent que par des mesures incitatives pour sauver les zones sous-dotées.
Le problème, c’est que cela n’a pas marché jusqu’ici et que rien n’indique que cela marchera demain. En attendant, une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), qui dépend du ministère du Travail, publiée en février 2009, met en évidence des projections à 2030 extrêmement alarmantes si la tendance se poursuit (mêmes choix individuels des médecins, élévation du numerus clausus à 8 000 d’ici 2011, croissance de la population de 10 %) : une densité médicale chutant de 327 à 292 médecins pour 100 000 habitants entre 2006 et 2030, avec des disparités médicales toujours aussi criantes (voir cartes et tableau p. 23), des spécialités parfois décimées (voir tableau p. 26), une féminisation de la profession (à 53,8 % contre 39 % en 2006) et une concentration croissante de généralistes exerçant uniquement à l’hôpital (un quart en 2030). En dix ans, le nombre de médecins en activité devrait baisser de près de 10 %, le pic historique ayant été atteint en 2007 (208 000 médecins actifs). L’âge moyen passera, lui, de 48,8 ans en 2006 à 50,2 ans en 2012 et 44,5 ans en 2030.
« Vingt députés et sénateurs font la loi des médecins »
Les auteurs de l’étude font le constat que « l’évolution de la démographie médicale dépendra largement de l’évolution des choix individuels des jeunes médecins » mais aussi et surtout « des décisions publiques prises aujourd’hui » car les conséquences de ces choix ne se dessineront qu’avec le renouvellement des générations. Pas évident, quand on voit les difficultés à faire évoluer l’administration sur les numerus clausus ou quand, commente Christian Saout, président du Collectif interassociatif pour la santé*, à propos de la loi HPST, « vingt députés et sénateurs font la loi des médecins et non la loi des citoyens ».
Peut-être la lumière viendra-t-elle d’une coopération interprofessionnelle négociée permettant à des pharmaciens « isolés » d’avoir une marge de manoeuvre vis-à-vis de renouvellements ou de certaines prescriptions (voir encadré p. 25). Mais si le cadre permettant de nouvelles missions été fixé par la loi HPST, tout reste à faire sur le terrain.
En attendant un peu de volontarisme politique et de bonne volonté, la population souffre. Vous aussi, comme le met en évidence notre tour de France.
* Le CISS regroupe 32 associations de patients.
La campagne souffre
La raréfaction des prescripteurs fait vivre à certaines officines rurales des situations économiques dramatiques. Batailler pour attirer la perle rare devient alors un impératif vital, allant de pair avec une extrême rigueur de gestion. Rencontres.
TÉMOIGNAGES RECUEILLIS PAR PASCAL AMBROSI, JEAN-LUC DECAESTECKER, JEAN-PHILIPPE DEJEAN, MYRIEM LAHIDELY, ANNY LETESTU, JEAN-JACQUES TALPIN, MARC POUIOL ET SERGE TROUILLET
Nombre et densité de médecins en activité d’ici 2030J’ai du mal à dormir, je ne sais pas comment je vais pouvoir gérer cette situation. Mes clients me demandent tous les jours si un médecin va venir. » Isabelle de Naurois, 39 ans, n’imaginait pas cela quand, en 2001, elle s’est installée à Saurat, village ariégeois de 600 habitants. « Quand il y avait un médecin c’était déjà juste pour m’en sortir, mais aujourd’hui ce n’est plus possible. » En 2003, la commune est restée six mois sans médecin, après le départ de celui qui y exerçait depuis 36 ans. En février dernier, c’est son remplaçant qui est parti. Depuis, les patients doivent se rendre à Tarascon, situé à 7 kilomètres. « Quand ils sont là-bas, la tentation est grande de passer à la pharmacie, se désole Isabelle de Naurois. De plus, les personnes âgées partent en maison de retraite, alors si on ne retrouve pas un médecin très vite, l’avenir de l’officine est bien compromis. Le CA est en baisse, j’ai réduit mes achats chez le grossiste de près de 16 % en avril par rapport à la même période en 2008. Je ne sais plus où je vais. Je ferai le bilan après l’été, durant lequel la population triple, et ensuite j’aviserai. »
Ailleurs, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il y a près d’un an, Tréveray, village meusien de 750 habitants, perdait son médecin. Pour l’heure, personne ne l’a remplacé. Un médecin domicilié dans le village effectue toutefois des visites le matin, avant de se rendre à son cabinet situé à une quinzaine de kilomètres, à Ligny-en-Barrois. Christiane Duclerget, titulaire depuis 1965 à Tréveray, a vu sont activité fortement diminuer. A 70 ans, elle s’inquiète quant à la possibilité de transmettre sa licence, même s’il n’y a pas eu de baisse de trésorerie pour l’instant.
Des chiffres d’affaires qui chutent très rapidement
« Le risque est grand de devoir rendre ma licence d’exploitation et qu’il n’y ait plus jamais d’officine à Aubers », relate également Alain Gaudefroy, diplômé de Lille en 1975. Certes, pour s’installer, en 1978, il avait dû passer par une dérogation. « En outre, quand je suis arrivé, la commune n’avait déjà pas de médecin. Celui-ci n’était arrivé que deux ans après. Il a arrêté d’exercer il y a tout juste un an. Mon CA, de 750 000 euros, a perdu 15 %… », livre-t-il.
Si Catherine Pantel, titulaire à Pont-de-Montvert, en Lozère (300 habitants), a pu jusque-là maintenir son activité grâce à la fidélité de ses clients après plusieurs périodes sans médecin (la dernière depuis juin 2008), la « crise » a modifié la situation. Le CA de l’officine a sensiblement baissé au point que la pharmacienne a réduit son salaire de moitié et n’a pas pu se payer en mars. Elle a même songé à licencier l’employée qui travaille à temps plein en été et à mi-temps l’hiver. « Cela n’aurait rien changé et c’est un emploi sur la commune. Par ailleurs, je travaille seule et je n’ai pas pris de vacances depuis dix ans », explique notre consoeur. La titulaire stocke également beaucoup moins. « Je fais attention à prendre juste ce qu’il faut en hiver et en été, mais c’est un cercle vicieux car en ayant moins de produits, le risque serait que mes patients s’adressent ailleurs… » Si elle venait à perdre la maison de retraite, son CA diminuerait ipso facto de 25 %. Catherine Pantel, qui vient de renégocier ses prêts et prolonger son crédit, ne sait pas très bien où elle va. Un regroupement avec une autre officine est inenvisageable. Quant à vendre, elle ne s’y résout pas. « Je ne lâcherai pas. De toute façon, sans médecin, je ne vendrai jamais. »
A l’écart des grands axes de circulation, Arfeuilles (Allier) est aussi touché de plein fouet par la désertification rurale. Sa population a été divisée par quatre en un siècle pour s’établir à 700 habitants aujourd’hui. Installée en 1991, Michèle Varennes a connu 12 années de croissance et a même embauché. Las ! en mai 2008 le médecin s’en est allé. « Depuis plus d’un an, il semblait déjà ne plus être vraiment là, explique Michèle Varennes. Débordé par une clientèle trop nombreuse, se rendant souvent à Paris pour parfaire ses connaissances, il était sans doute en quête de nouveaux horizons. Les files d’attente à son cabinet ont fini par convaincre un nombre croissant de patients à consulter ailleurs. Mon activité s’en est ressentie dès 2007. L’année suivante, après son départ et les derniers renouvellements de prescriptions, elle a encore chuté de près de 10 % et, depuis, elle continue de baisser mois après mois. »
Anne-Sophie Pallu, installée à Mareuil-sur-Arnon, un village de 600 habitants situé en plein coeur de la campagne berrichonne, a été confrontée au même problème en 2002. Elle s’était alors battue bec et ongles pour trouver un nouveau généraliste, qui a accepté, en 2004, de s’installer. « Elle avait alors perdu près de 25 % de son CA », narre Evelyne Faict, qui a repris la petite officine en 2007 alors qu’on lui avait assuré que le médecin devait rester. Or celui-ci est également parti en 2008 ! La nouvelle titulaire a immédiatement connu une baisse d’activité pendant les 6 mois qu’a duré la vacance médicale. « Cela n’a pas été catastrophique grâce aux ordonnances renouvelables, plus longtemps cela l’aurait été car je n’avais plus d’ordonnances pour les pathologies aiguës. »
Médecins étrangers peut-être, maisons médicales sûrement
La solution est venue de l’étranger. Evelyne Faict s’est battue elle aussi pour mobiliser élus, facultés et conseil général, lequel a réussi à attirer un médecin roumain, Emil Popescu. « Mais je n’ai pas retrouvé mon ancienne activité, précise Evelyne Faict, car ce médecin réalise entre 15 et 20 actes par jour contre 40 pour son prédécesseur. Mon officine reste fragile, avec un CA inférieur de moitié à la moyenne nationale. De plus, ce médecin est encore jeune (54 ans) et sa famille est restée au pays. Si elle était ici ce serait un point d’ancrage. Je doute de la pérennité de cette installation… »
Pont-de-Montvert, où est installée Catherine Pantel, est justement un exemple de l’incertitude liée au recrutement de médecins étrangers. En l’occurrence, ici, une Belge restée deux ans et demi pour combler la place laissée vacante depuis un an par le précédent médecin, parti à Mende. En juin 2008, elle a annoncé son départ. Catherine Pantel l’a appris en lisant un simple mot affiché à l’épicerie. Depuis septembre 2008, la mairie a fait appel à Média Santé pour recruter. L’agence n’a reçu aucune demande, malgré la gratuité du logement pendant deux ans, un local avec le matériel, l’exonération de taxe professionnelle… « On ne trouve même pas de remplaçant en juillet-août alors qu’il y a beaucoup de travail ! », se désole Catherine Pantel.
A Hénon, un village de 2 000 habitants des Côtes-d’Armor, sans médecin depuis six mois, la collectivité peine à recruter (10 000 Euro(s) ont déjà été dépensés en annonces !) alors que la commune n’est pas dans une zone présentée comme déficitaire. Certains médecins étrangers se sont présentés mais, faute de validation de leur diplôme en France, ils ne peuvent pas exercer pour l’instant.
A Pont-de-Montvert toujours, Catherine Pantel travaille avec la mairie à un projet de maison de santé, présentée depuis des années en France comme la solution à cette problématique de désertification médicale. « Mais il n’est pas évident de trouver des partenaires », regrette la titulaire. A Tréveray, Christiane Duclerget aussi aimerait bien tenir encore « un an ou deux », car une jeune généraliste a manifesté son intention de s’installer en s’adossant, au niveau des gardes et des remplacements, sur la future maison médicale de Gondrecourt-le-Château, situé à 15 kilomètres. « Mais ce projet prend du temps au niveau des différentes autorisations et des financements. Or, pour moi le temps presse », insiste Christiane Duclerget. En attendant les maisons de santé et les contrats santé-solidarité, on « colmate ». Depuis quelques mois, un médecin de Sainte-Enimie, à 43 kilomètres de Pont-de-Montvert, fait l’aller-retour quatre demi-journées par semaine. Il lui arrive de ne pas assurer ses consultations, sans prévenir, ou de venir avec beaucoup de retard. « Ce n’est pas la solution. S’il ne vient pas les gens iront voir ailleurs », peste Catherine Pantel.
A Saurat, la mairie et l’hôpital ont bien cherché et trouvé un médecin, attiré par l’exonération d’impôts de cinq ans, celle de l’URSSAF de un an, et le loyer gratuit de un an offert par la mairie. Mais l’administration fiscale a fait barrage, malgré le classement en zone de revitalisation rurale, au motif qu’il n’y avait pas de changement de local et qu’il s’agissait donc d’une reprise et non d’une installation. Et sans exonération, aucun praticien ne veut venir tenter l’aventure dans cette charmante bourgade, alors que ceux de la ville d’à côté sont débordés. « D’autres communes ont pu attirer des médecins roumains ou espagnols et cela se passe très bien. Si ça continue, je serai coincée, la pharmacie sera invendable. Et la conjoncture n’arrange rien », craint Isabelle de Naurois.
« Nous concentrerons nos efforts sur le conseil et le service »
Alors, comme nombre de confrères, la titulaire doit agir sur les leviers qui restent à sa disposition en tant que chef d’entreprise. « Je travaille tous les jours, y compris le dimanche, je livre et je ne prends qu’une semaine de congés. Je diminue les commandes, j’échelonne les échéances, j’essaie d’attirer la clientèle par des journées d’animation. Si aucun médecin ne s’installe d’ici quelques mois, il faudra envisager de transférer ou de se regrouper. Mais où et comment ? Je n’en sais rien. »
A Hénon, Hélène Le Rall maintient son chiffre d’affaires de 2008 (590 000 euros) grâce au développement du village (nouveau lotissement, nouvelle école, cabinet d’infirmiers, EHPAD de plus de trente lits). « Une partie de la clientèle est restée fidèle, mais toutes les consultations du soir, que nous récupérions auparavant, nous échappent car les gens trouvent plus pratique de se rendre dans une pharmacie proche du cabinet, explique Hélène Le Rall. Nous allons optimiser la parapharmacie et la médication familiale, et concentrer nos efforts sur le conseil et le service apportés au client, comme nous l’avons toujours fait ! »
« Ce qui me sauve, c’est que je n’ai plus d’emprunt, que je veille aux frais, commente de son côté Alain Gaudefroy, à Aubers. J’avais un projet de transfert sur la commune pour améliorer l’accessibilité de l’officine et la remettre aux normes. Le projet est en suspens… Je m’en sors aussi parce que mon épouse exploite sa propre officine à Herlies, à 4 kilomètres d’ici, et que les patients me sont restés fidèles après avoir consulté tout autour d’Aubers… » A sept ans de la retraite, Alain Gaudefroy a fait réaliser un audit. « Mon expert-comptable m’a découragé d’un transfert dans les conditions économiques actuelles conjuguées avec une possible ouverture du marché. » Se refusant cependant à tout catastrophisme et soucieux de répondre aux besoins de santé publique, Alain Gaudefroy affirme : « Je n’ai pas l’intention de fermer, même faute de repreneur. Peut-être serai-je amené à diminuer les horaires d’ouverture, ou le personnel… »
Le licenciement comme ultime levier pour s’en sortir
En février 2009, « la mort dans l’âme », Michèle Varennes, à Arfeuilles, a dû se résoudre à se séparer de sa préparatrice. Compte tenu de son bilan, elle entrevoit de faire de même avec son préparateur, qui n’est présent que le mardi, en août prochain avant de clore son activité à la fin de l’année. « Je pourrais me raviser s’il y avait un miracle, c’est-à-dire le retour d’un médecin déterminé à rester au village et quelqu’un pour me succéder. Mais je n’y crois plus. Du reste, je suis fatiguée de chercher. Personnellement, même avec un médecin dont on annonce toujours l’arrivée prochainement, il me faudrait réinvestir dans l’informatique, notamment pour la mise en place du dossier pharmaceutique. A 62 ans, je n’ai plus assez de détermination pour cela. » Michèle Varennes envisage de poursuivre sa carrière en tant que salariée jusqu’à 65 ans. Dans le Puy-de-Dôme, la Creuse ou un autre département elle sait qu’on manque de remplaçants. Ce qui l’aura le plus éprouvée, c’est la « bassesse » de certaines personnes qu’elle tenait jusque-là pour « respectables » : « Pendant plusieurs mois, mon officine a été le théâtre d’un défilé d’aimables requins, d’escrocs urbains qui me pressaient de céder mon officine pour 10 000 euros, quand son chiffre d’affaires était alors de 450 000 euros ! »
En ultime recours, Alain Godefroy retient pour la profession l’idée d’une caisse de péréquation, « à la condition que la profession en soit partie prenante à côté des pouvoirs publics ».
Thérapies de choc
Contrat de santé-solidarité, contrats avec les étudiants, secrétariat pour les médecins…, les initiatives se multiplient pour attirer ou conserver les médecins en zone rurale.
Malgré un intense lobbying médical, le contrat de santé-solidarité fait bien partie intégrante de la loi HPST. A partir de 2013, le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) pourra proposer ce contrat aux médecins libéraux de zones bien dotées, charge à eux de participer à la couverture de zones sous-médicalisées (en service d’urgence, ou bien une demi-journée par semaine en cabinet ou en EHPAD). En cas de refus ou de non-respect du contrat, le médecin devra s’acquitter d’une contribution annuelle au plus égale au plafond mensuel de la Sécurité sociale (2 859 euros en 2009).
La ministre de la Santé refuse de parler de contrainte à propos de ce dispositif, parlant d’« une mesure incitative plus musclée ». Des parlementaires, comme le centriste Hervé Maurey, ont estimé que nombre de médecins « préféreraient payer que d’aller là où on a besoin d’eux mais où ils ne veulent pas aller ». Il avait proposé un amendement obligeant les jeunes médecins à exercer leurs trois premières années en zones sous-médicalisées, « dans la logique des propos du Président de la République » qui voulait s’inspirer des infirmières.
A l’opposé, les sénateurs UMP de la commission des Affaires sociales, guidés par son président Nicolas About et par le rapporteur du texte Alain Milon (tous deux médecins), voulaient torpiller le contrat de santé-solidarité. Lequel Alain Milon appelle d’ores et déjà les ARS à être « inventives » pour développer des mesures d’incitation à l’installation. Et éviter les contrats de santé-solidarité ?
Contrats de service étudiants et secrétariat pour les médecins
L’article 15 de la loi HPST prévoit aussi la possibilité de faire signer des « contrats d’engagement de service public » aux étudiants à partir de la deuxième année de médecine, leur donnant droit à « une allocation mensuelle » en sus des rémunérations d’internes habituelles. La contrepartie : ces étudiants s’engageront à la fin de leurs études à exercer dans des lieux d’exercice désignés (relevant de leur faculté) à titre libéral ou salarié pour une durée au moins égale à la durée de perception de cette allocation (au minimum deux ans). Ils pourront toutefois se désengager de cette obligation contractuelle moyennant le remboursement des sommes perçues.
Un autre levier pour attirer ou conserver des médecins en zones rurales fragiles a été créé. Il a pour nom de code « Pays de santé ». Deux sites pilotes, de la taille de trois à cinq cantons, ont été désignés dans les Ardennes et en Dordogne pour une durée de trois ans à partir du mois de juillet. Les chevilles ouvrières de ce projet sont la Mutualité sociale agricole et Groupama. Objectif : faciliter la vie des médecins sur le plan administratif pour leur dégager du temps libre professionnel… ou privé.
Concrètement, un « conseiller pays de santé » rémunéré par les assureurs (professionnel de santé avec une expérience en management) sera à la disposition de 8 à 20 généralistes pour rechercher des remplaçants, renseigner des dossiers, réaliser des examens complémentaires, gérer des achats, rechercher des consultations spécialisées, coordonner de l’éducation thérapeutique ou encore suivre par délégation des patients chroniques (diabétiques ou hypertendus stabilisés)… D’un coût de 200 à 300 000 euros, l’opération sera ensuite évaluée avant une éventuelle généralisation.
Concernant l’avenant conventionnel n° 20, signé par 650 généralistes et leur assurant 20 % de rémunération en plus pour exercer en zones déficitaires (cabinet de groupe, maison de santé pluridisciplinaire, remplacements), le syndicat MG-France admettait dans un communiqué en mai dernier, qu’il « n’a pas favorisé d’installations de jeunes médecins ». Au point que les syndicats médicaux craignent sa remise en cause pure et simple alors que la convention médicale va très probablement être renégociée très rapidement.
Même l’Ile-de-France est concernée
Une étude de l’Union régionale des médecins libéraux*, publiée en avril dernier, met en évidence une diminution du nombre de médecins… franciliens de 20 % entre 2006 et 2030 et une chute de 25,8 % de la densité médicale. En effet, la moitié des médecins de plus de 50 ans projettent d’arrêter ou de diminuer leur activité libérale dans les 5 à 10 ans : un sur cinq arrêterait avant 65 ans, un sur quatre dans des départements comme l’Essonne ou la Seine-Saint-Denis…
Ce qui les y inciterait : un problème de santé pour 88,7 % d’entre eux, l’augmentation des charges (45,2 %), l’usure professionnelle (36,1 %), privilégier la qualité de vie (32,8 %)…
Ce qui les pousserait, a contrario, à poursuivre une activité libérale après 65 ans : une nécessité financière pour 74,9 %, pouvoir cumuler retraite-activité à temps partiel (69,3 %), la passion du métier (59,7 %), pouvoir assouplir son organisation de travail (54,8 %). Par ailleurs, une diminution de leurs charges URSSAF pousserait 76 % des répondants à continuer. Un quart se limitant alors à des remplacements occasionnels ou des vacations en établissements…
Pour tenter de répondre à cette problématique, l’Union régionale des médecins libéraux et le Conseil national de l’ordre des médecins viennent de monter le portail Soignereniledefrance.org destiné à faciliter les échanges entre médecins et à répondre à leurs interrogations sur l’installation, l’exercice au quotidien, l’évolution de carrière, la préparation du départ et, a contrario, la poursuite de l’activité. On peut y trouver des témoignages sur chaque problématique, une cartographie fine de l’offre de soins ou encore une mise à jour des aides à l’installation des différentes collectivités locales.
Fin de la liberté d’installation pour les infirmières
Les syndicats de médecins ont dénoncé cette réforme, craignant pour leur propre avenir : depuis le 18 avril, et jusqu’à une évaluation programmée en 2011, les quelque 67 000 infirmières se voient appliquer l’accord conventionnel de septembre 2008 actant l’impossibilité de s’installer dans une zone surdotée, sauf pour remplacer une cessation d’activité. Elles devront aussi s’impliquer dans le suivi des diabétiques et la vaccination antigrippe. En contrepartie, la profession infirmière a obtenu une aide de 3 000 euros par an pour exercer en zones sous-dotées, une revalorisation de 5,3 % des actes AMI (soins de pratique courante) et une meilleure prise en charge de leurs cotisations familiales.
« Si ça continue, dans deux ans c’est le dépôt de bilan »
Quand Marc Alandry s’est installé à Couiza (Aude) en 1998, le village de 1 500 habitants comptait quatre médecins. En 2008, il n’en restait plus que deux, âgés de plus de 50 ans. Son officine a perdu 20 % de sa clientèle en dix ans et, en un an (depuis mai 2008), son CA s’est réduit de 100 000 Û. « La prise de retraite d’un titulaire a permis d’absorber le choc du second départ, auquel je ne m’attendais pas. Mais nous avons aussi pratiqué un dégraissage sélectif du stock vigneté. Une bonne collaboration avec mon grossiste-répartiteur m’a permis de faire des retours monstrueux. » Marc Alandry a fait un effort sur les prix. Il a aussi mis en place un service de conseil gratuit (diabète, HTA…) dans un espace de confidentialité. Il a développé un rayon vétérinaire, travaille déjà avec une maison de retraite du village (service à flux tendu deux fois par jour) et songe fortement à s’investir dans le MAD. « Cela implique une main-d’oeuvre. Je ne suis pas dans une optique de licenciement, mais je dois lutter contre le comptable et la banque pour maintenir ma masse salariale (deux pharmaciens, trois préparateurs). » Après cinq générations de pharmaciens dans la famille, trois dans la même officine à Couiza, Marc Alandry ne veut pas envisager de vendre. « De toute façon, ce serait difficile. Mais au rythme où nous sommes, dans deux ans c’est le dépôt de bilan. »
Déléguer aux officinaux !
Philippe Lépée, président de l’USPO-Allier, fait ses comptes : sur les 320 médecins du département, 250 seront partis en retraite en 2017 ! Avec un taux de remplacement optimal de un pour deux… « On est en train d’assister à une désorganisation de notre réseau de santé publique beaucoup plus vite qu’on ne le pense. Les chiffres globaux masquent des réalités inquiétantes dans les zones rurales. » Selon lui, il n’y a pas d’autre solution que d’activer la collaboration entre les médecins qui resteront et les pharmaciens : surveiller un diabétique ou un asthmatique, donner des traitements de courte durée, intervenir en amont en cas d’épidémie de grippe, de gastroentérite. « Il faut cesser de raisonner à périmètre constant, plaide Philippe Lépée. Pour cela, il nous faut être reconnus comme prescripteurs, selon la définition du Larousse en 15 volumes : « Personne qui conseille, recommande un produit, un service, des soins, etc. » Avec sa traduction en matière de remboursement… « La loi Bachelot, qui fait du pharmacien un acteur du premier recours, ouvre une porte. Il s’agit maintenant de passer à l’acte, de mettre en place, avec tous les professionnels concernés, la délégation des tâches. J’ai un certain nombre d’amis médecins très ouverts sur le sujet. Dans l’Allier, il y a urgence. Imaginez le désarroi de la population d’Arfeuilles, qui a perdu son médecin surchargé et risque de voir fermer maintenant son officine ! Les patients devront faire 30 kilomètres aller-retour pour consulter et acheter leurs médicaments… », prévient Philippe Lépée.
Merci aux clients
Certains s’en sortent grâce à la solidarité de la clientèle. Comme à Houeillès, un village de 600 habitants du Lot-et-Garonne sans médecin depuis un an. Yannick Garçon y est titulaire depuis 2004. « Mon CA stagne mais il n’a pas baissé. Les patients vont consulter à Casteljaloux, à dix kilomètres d’ici, et ils reviennent chercher les médicaments chez moi. Ils ont conscience qu’il est important d’avoir une pharmacie dans la commune, même s’ils surveillent leurs dépenses », analyse Yannick Garçon, qui travaille seul.
La fidélité des clients a également aidé Catherine Pantel (Pont-de-Montvert) à tenir, même si elle leur a un peu forcé la main ! « Je leur avais dit que je partirais s’ils ne venaient plus, et ils ont bien voulu faire un effort même s’ils consultent à Mende ou Florac ou Génolhac. Et puis, comme je passais des journées à ne rien faire, je restais après 19 heures pour servir mes patients. » La pharmacienne s’est adaptée à chaque départ de médecin et, au final, n’a pas perdu trop de clients.
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