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Il a créolisé le Codex !

Publié le 29 août 2009
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Henry Joseph a vendu son officine en 2005 afin de créer un laboratoire fabriquant des produits issus de la biodiversité caribéenne. Un succès qui récompense plus de 20 ans de recherche et de combat juridique afin que soient reconnues par la Pharmacopée française, dans le cadre d’une loi, les plantes médicinales des départements d’outre-mer.

Vingt-cinq années de travail scientifique, huit autres de bataille juridique. Henry Joseph, pharmacien guadeloupéen, est tenace. Bien lui en a pris puisque les officines d’outre-mer pourront désormais vendre des plantes locales intégrées à la Pharmacopée française. Ainsi, le zèb a pik (Neurolaena lobata), aux propriétés analgésique, fébrifuge et stimulante (entre autres !), grand classique de la pharmacie traditionnelle antillaise pour soulager grippe ou maux de tête, retrouve ses lettres de noblesse. Le zèb chawpantiyé (Justicia pectoralis), dont les feuilles pilées avec du sel étaient jadis posées en cataplasme sur les entorses ou les plaies, a quant à lui prouvé scientifiquement que les coumarines et flavonoïdes qu’il contient ont des propriétés anti-inflammatoire, cicatrisante, sédative et relaxante. Il peut aussi être utilisé en infusion au même titre que le tilleul, ou sous forme de sirop contre la toux.

Sauver de l’oubli les remèdes traditionnels

L’intérêt pour les plantes de sa région, Henry Joseph le doit sans doute à ses racines. Natif de Gourbeyre, un village où ses parents cultivaient des christophines, il décroche son diplôme de pharmacien à Montpellier puis passe à Toulouse un doctorat de 3e cycle en pharmacognosie, avant de revenir comme adjoint sur son île natale en 1988. Parallèlement, il entame des recherches sur les plantes médicinales antillaises.

« En 1983, une enquête mettait en évidence la disparition progressive de la médecine traditionnelle de la mémoire des Guadeloupéens. Le plus jeune, qui connaissait 10 plantes médicinales et leur usage, avait à l’époque 43 ans ! », explique Henry Joseph. Pour faire revivre une pratique séculaire, il se rapproche d’autres chercheurs de la région caribéenne au sein du programme de recherche TRAMIL (Traditional Medicine of the Islands). « Les chercheurs réalisent un minutieux travail d’enquêtes sur les médecines traditionnelles, pour recueillir un maximum de données sur l’usage des plantes. Nous sommes aujourd’hui plus de deux cents chercheurs venus de trente pays différents. Le but est de permettre aux populations de nos régions d’accéder aux plantes médicinales traditionnelles sur la base de nouvelles connaissances valorisées par des études scientifiques. »

Débuté en 1983, TRAMIL a permis en 1998 la publication de la première Pharmacopée caribéenne avec quelque 90 plantes en monographie.

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S’affranchir du premier Codex écrit en 1803

Parallèlement à ses activités d’adjoint et fort de ses recherches et découvertes notamment sur les propriétés veinotonique et anti-oedémateuse du zèb chawpantiyé, Henry Joseph crée en 1989, avec un phlébologue, la société Henri Pierre Santé. « Nous avons déposé un brevet et lancé une première spécialité sous forme de gel, Bioven, pour faciliter le retour du sang veineux. » Trop novateur, le produit peine à trouver sa place. Mais il en faut davantage pour décourager Henry Joseph. En 1992, en reprenant avec un confrère une officine à Basse-Terre, il constate l’inadéquation des plantes vendues en pharmacie au regard de la richesse du patrimoine de phytothérapie local. « J’ai donc continué mes recherches, notamment sur la Banuline, une spécialité à base de banane verte. Elle contient plusieurs molécules dont des amidons résistants aux enzymes digestives. Ils arrivent intacts dans le côlon, sans être digérés, où ils sont pris en charge par des bactéries pour être transformés en acides gras à chaîne courte, un excellent prébiotique. La Banuline intervient ainsi pour désenflammer le côlon tout en dopant le système immunitaire. Outre ses propriétés antistress – dues aux polyphénols – et cicatrisante de la muqueuse gastrique – grâce aux flavonoïdes -, elle prévient les maladies digestives dégénératives du côlon. »

Des résultats prometteurs… à condition de pouvoir utiliser les plantes caribéennes dans un objectif thérapeutique. Impossible jusqu’à peu puisque ces plantes, hormis 19 d’entre elles qui s’apparentent plus à des aromates (citronnelle, curcuma, gingembre, jujubier, orthosiphon, muscadier aromatique…), ne pouvaient intégrer la Pharmacopée française. Des recherches historiques menées par Henry Joseph et Isabelle Robard, avocate spécialiste du droit de la santé, ont permis de mettre au jour les raisons de cette interdiction. Les Nègres, libres ou esclaves, n’avaient pas le droit d’exercer la médecine, la chirurgie, la pharmacie, ni celui de vendre et distribuer des drogues et plantes car les colons craignaient d’être empoisonnés. Le premier Codex est créé par une loi de 1803 mettant à l’écart toute plante issue des traditions médicales caribéennes… L’histoire se montrera rétive aux arguments scientifiques et il faudra de multiples rebondissements et l’acharnement de pharmaciens, chercheurs et juristes pour réussir à redonner aux plantes caribéennes leur place au sein de la Pharmacopée.

8 avril 2009 : une date historique pour la pharmacopée caribéenne

« En 2001, notre association pour la promotion des plantes médicinales (Aplamedarom), que je préside, a demandé à Lucette Michaux-Chevry, sénatrice, de proposer un premier amendement au projet de loi Guigou sur le droit des malades », précise Henry Joseph. Le Sénat ne s’y oppose pas mais le gouvernement d’alors émet un avis défavorable. « Puis nous avons écrit à tous les candidats à la présidentielle de 2002. Jacques Chirac nous a répondu qu’il ferait tout pour légiférer sur ce problème s’il était élu. » L’Aplamedarom revient donc à la charge lors de sa victoire. Des dispositions relatives aux plantes médicinales des DOM sont proposées. En 2003 le texte est validé par le Sénat, le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale, mais la canicule fera tout capoter. En 2005, Henry Joseph vend son officine pour se consacrer à sa nouvelle société, Phytobokaz, créée avec Paul Bourgeois, professeur de chimie, qui produit des cosmétiques et compléments alimentaires aux actifs issus de la biodiversité caribéenne. Il n’en oublie pas pour autant le combat de sa vie.

« Nous sommes revenus à la charge à la présidentielle suivante ! Et, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, nous avions rallié tous nos députés et sénateurs domiens. » Un projet passe au Parlement le 14 octobre 2008 dans le cadre de la loi Grenelle 1, mais, le 27 janvier 2009 au Sénat, la ministre de la Santé et le Premier ministre ne l’inscrivent pas dans la loi Grenelle 2, arguant du principe de précaution… en pleine grève aux Antilles. « Maître Robard et moi avons écrit à Nicolas Sarkozy pour lui rappeler ses promesses de campagne », reprend Henry Joseph. Enfin, le 8 avril 2009, l’ensemble des parlementaires domiens fait front dans le cadre de la loi de développement économique des DOM. Après huit années de combat acharné, ce sera finalement cette réforme du Code de la santé publique qui sera adoptée, mettant un point final historique à 210 années d’interdiction.

Envie d’essayer ?

Les avantages

– Une reconnaissance utile à tous les officinaux des Antilles qui pourront enfin renouer avec les traditions locales.

– De nouvelles voies de recherche, comme en témoignent les découvertes sur la banane verte par exemple.

– Une façon de sortir de l’oubli les médecines ancestrales en leur donnant une légitimité scientifique.

– L’occasion aussi de fédérer des chercheurs de plusieurs pays autour d’un même projet.

– Enfin, une autre façon de mettre l’équipe officinale au coeur de la recherche !

Les inconvénients

– Un long combat qui a demandé beaucoup d’opiniâtreté.

– L’ensemble des pharmaciens caribéens doit maintenant se former à la phytothérapie tropicale.

Les conseils d’Henry Joseph

« Les Domiens doivent se réapproprier leurs remèdes traditionnels. Nous devrions toujours nous souvenir que 80 % de la biodiversité de la France se trouve en outre-mer et pas en métropole. Cet or vert est notre seule richesse. »

– « De même, les équipes officinales peuvent promouvoir auprès de leurs clients une autre façon de se nourrir en revenant aux fruits et légumes de l’île, riches en antioxydants avec des index glycémiques bas. Pour exemple, la patate douce, moins consommée que la pomme de terre, est pourtant particulièrement indiquée pour lutter contre le diabète car elle possède un index glycémique bas de 50, contre 88 pour la pomme de terre. »