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Philippe Gaertner : « Prouver notre ASMR »
Appliquer, dans la foulée de la loi HPST, un système de triple niveau de services « à l’anglaise ». Telle est la proposition de la FSPF dans « La Lettre du pharmacien de France » publiée cet été. Une proposition inédite à laquelle s’ajoute un véritable coup de gueule, notamment vis-à-vis des stratégies de communication et des nouvelles formes capitalistiques émanant des groupements. Le point avec Philippe Gaertner, président de la Fédération.
Vous proposez de mettre en place le système conventionnel britannique à trois niveaux de services : « essentiels », « avancés » et « optionnels ». Pourquoi ?
Un élément important est bien évidemment la loi HPST. Si nous pensions à ce système « à l’anglaise » depuis plus d’un an, nous avons attendu que la loi soit votée pour l’écrire ou le dire. Le législateur a voulu infléchir le métier de pharmacien à travers l’article 38 de la loi HPST en le rendant encore plus professionnel de santé. Notre métier a deux facettes : commercial et profession de santé. Il faut donc trouver la bonne adéquation entre les deux. Maintenant, pourquoi une proposition de modification de la rémunération ? Dans l’acte, il y a deux composantes, la vente du produit et la prestation intellectuelle. Il devra toujours y avoir une part liée au produit, sans quoi une structure privée ne peut pas gérer les stocks, etc. Par ailleurs, on nous dit depuis des années que « le prix du produit couvre tout ». Or, les médicaments de plus en plus techniques qui arrivent vont nécessiter toujours plus d’interventions « postdispensation ». Et tant que vous n’avez pas « créé » l’acte intellectuel dans la rémunération, vous ne pouvez pas revendiquer quelque chose qui ne soit pas directement connecté au produit. J’entends bien que ce qui fait partie de la dispensation est dans le cadre d’un périmètre budgétaire constant – et il n’est pas question de se faire rémunérer en plus pour ce que nous faisons classiquement aujourd’hui. Par contre, si demain nous faisons des actes complémentaires entre le moment où le produit quitte l’officine et où il est administré, il va falloir les nomenclaturer.
Pour les services « essentiels » (dispensation) vous proposez de transformer l’actuel forfait à la boîte en paiement d’un acte intellectuel qui pourrait représenter 25 % de la rémunération. Cette part devrait-elle varier en fonction du type de produit et de sa difficulté de dispensation ?
Oui, il y aura une logique professionnelle. Alors pourquoi 25 % ? Parce qu’on ne peut pas changer aujourd’hui les fondamentaux de la rémunération sans prendre le risque d’un véritable cataclysme dans la profession. Nous souhaitons donc prendre un petit peu plus que ce que représente aujourd’hui le fixe – 0,53 centime par boîte représente 22 % de la rémunération – pour mettre le train sur les rails.
Passons au deuxième étage : les services « avancés ». Parmi vos exemples : le pharmacien correspondant (coordination en ville), le pharmacien référent en EHPAD, les services visant à améliorer l’observance…
Oui, ici nous ne serons plus contraints par l’enveloppe officine, nous serons sur l’enveloppe maladie, au-delà des dépenses pharmaceutiques. Ce type de services nécessitera de passer parce que nous appelons dans cette maison le « rendez-vous pharmaceutique » (pas une consultation !) : proposition au patient d’un suivi particulier, plus éventuellement un ou deux contacts téléphoniques ou une relance par SMS… C’est là que nous retrouverons les « nouvelles missions », comme on les nomme pompeusement dans la loi HPST. A commencer par des services permettant d’améliorer l’observance de chroniques ou de traitements particuliers. Je pense par exemple à un prochain produit de biotech dans la prise en charge de l’ostéoporose qui sera injecté tous les 6 mois : il faudra trouver le moyen d’inciter le patient à respecter cet intervalle. Autre exemple avec les patients asthmatiques. Le pharmacien devra montrer que son action a apporté soit une diminution des coûts – moins d’hospitalisations, d’arrêts de travail, etc. (il faudra trouver les bons critères)-, soit une amélioration de l’état de santé ou le recul d’événements liés à la maladie. Autrement dit, le pharmacien s’investira avec un engagement de réussite et une rémunération à la clé. Pour cela, il devra démontrer qu’il apporte une « amélioration du service médical rendu ». Le principe d’une part de rémunération à l’acte ou à la capitation aura déjà été posé sur le premier niveau de service (dispensation). Il ne sera donc plus un obstacle pour les services avancés. Il faut noter la « première » que constitue le principe de rémunérer l’activité de pharmacien référent en EHPAD, acté dans le rapport de Pierre-Jean Lancry cet été : il s’agit déjà d’un service rendu en sus de la dispensation et qui sera rémunéré comme tel.
Pour les services avancés, les pharmaciens auraient donc une obligation de moyens et de résultat ?
Il peut y avoir deux cas de figure. L’assureur (obligatoire ou complémentaire) pourra décider de payer le pharmacien pour une campagne ciblée. Mais dans le cas de propositions de la profession (qui aura repéré un certain nombre de pistes où elle pense pouvoir améliorer l’efficience), là il y aura obligation de résultat si nous voulons une contrepartie. Le tout encadré de protocoles.
Et le troisième niveau de services, appelés « services optionnels » outre-Manche ?
On peut penser à l’optique, l’audioprothèse, l’éducation thérapeutique. Ce niveau ne concernera évidemment qu’une partie des officines. La préparation des doses à administrer, par exemple, pourrait dans un premier temps relever des services optionnels et se rapprocher demain des services avancés. Il n’y aura pas de ligne jaune. Mais on sera là sur des activités nécessitant une formation/compétence particulière, des locaux spécifiques, des critères de localisation, etc., et l’envie du pharmacien ! On ne décrète pas que l’on fait de l’éducation thérapeutique…
Ces services nécessiteraient des avenants conventionnels ?
Il y aura plusieurs partenaires : l’assurance maladie obligatoire bien sûr, les complémentaires, voire certains industriels (par exemple concernant l’observance de certains traitements pointus).
La profession a aujourd’hui une convention-cadre avec l’Assurance maladie. Vous reprenez l’idée avec les complémentaires…
On ne peut imaginer que chacun des acteurs complémentaires crée son propre protocole informatique. Ce qui fait aujourd’hui la réussite du tiers payant, ce sont bien les protocoles nationaux qui l’ont encadré. Bien sûr, il y a toujours des gens plus pressés qui veulent contractualiser individuellement : c’est faisable avec deux ou trois complémentaires, mais le jour où vous en avez cent !… Prenons l’exemple de l’accord Allianz-CNGPO, aujourd’hui tout est en « méthode papier ». Sur l’idée, il y a quelque chose d’intéressant, mais imaginez demain des accords ayant chacun leur modèle de documents, nomenclatures… Ingérable ! D’autant que si demain le Collectif n’est plus d’accord avec Allianz, chaque pharmacien se retrouvera seul avec sa signature en face de l’assureur. Nous sommes contre ce type de contractualisation individuelle car nous sommes dans l’incapacité de défendre des confrères qui ont contractualisé isolément.
Vous critiquez aussi l’application de tarifs différents selon les complémentaires. Or, vouloir faire appliquer le même tarif par tous les payeurs à tous les officinaux peut être considéré comme de l’entente…
Effectivement, cela nous préoccupe. C’est pourquoi nous ne voulons pas mentionner de tarifs dans notre futur accord avec la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile. Il faudra trouver de nouvelles règles, consulter la DGCCRF… Mais je ne désespère pas de trouver un cadre dans la mesure où nous sommes sur un produit particulier avec des contraintes particulières.
Les Anglais sont partis de loin : 10 ans d’expérimentations pour prouver la valeur ajoutée officinale, définir les tarifs des services. Faudra-t-il un tel délai en France, si tant est que le principe soit acté ?
Il s’agit de grandes orientations. La prochaine étape sera de passer, pas à pas, à du « pratico-pratique ». Le suivi des asthmatiques est un projet qui pourrait rapidement servir de galop d’essai à ce type de services car il réunit des critères idoines : patients à risque, pathologie chronique, utilisation des dispositifs inhalés à améliorer, possibilité de mesurer des effets comme la diminution de la consommation de Ventoline… Cela devra donc commencer très rapidement et cela montera très vite en puissance quand on s’apercevra concrètement que le pharmacien est sous-employé scientifiquement. Effectivement, le gouvernement actuel fonctionne beaucoup par les expérimentations : il est donc de notre responsabilité d’en mettre en oeuvre, de prouver ainsi ce dont les pharmaciens sont capables, et d’activer les décrets dans le bon sens derrière. Il faut nous saisir de ce qu’a voulu le législateur dans la loi HPST pour l’appliquer. Si notre envie correspond à une amélioration du service rendu au patient, cela marchera. Si nous imaginons des choses qui ont simplement pour intérêt de pouvoir dégager des revenus supplémentaires pour l’officine, je n’y crois pas. D’abord parce qu’il n’y a pas les moyens, ensuite car on risque de se retrouver en conflit d’intérêts avec les patients.
Combien de pharmacies seront capables de remplir les trois niveaux de services ?
Le premier niveau, c’est évidemment 100 %. Le deuxième, l’objectif c’est que 80 % puissent rapidement se mettre en condition de rendre ces services. Car l’intérêt est aussi ici qu’un maximum de patients puissent y avoir recours. Dans le troisième niveau, certains pharmaciens se spécialiseront, même si je n’aime pas ce terme.
Avez-vous déjà évoqué cette idée de triple niveau de services avec les autres syndicats et l’Ordre ?
Ce sont des choses qui ont été évoquées… Il y a encore bien des différences. Les deux autres syndicats disent aussi qu’il y a des services nouveaux à faire émerger, ce qui correspond aux niveaux 2 et 3. Dans la structuration de l’activité officinale, ils imaginent sans doute plutôt deux niveaux, le fondamental et le « niveau plus ». Nous, nous avons adopté cette idée de triple niveau car la FSPF ne veut pas entendre parler de pharmacies spécialisées pour ce qui concerne le médicament (c’est-à-dire les niveaux 1 et 2). Pas question de saucissonner le diplôme.
Quand nous avons interrogé les présidents du Conseil national et de la section A de l’Ordre en juillet, ils parlaient beaucoup de spécialisation des pharmacies…
Effectivement, ce n’est pas pour rien que nous nous positionnons. Le Collectif des groupements, c’est autre chose. Il voudrait réserver des services en amont non pas au bénéfice du patient mais au bénéfice de l’économie de ses adhérents. Je comprends leur logique, mais je dis que ce n’est pas ainsi que nous maintiendrons un réseau efficace en termes de santé publique. Si un pharmacien, niveau bac + 6, n’est pas capable de s’occuper du médicament dans son ensemble, c’est qu’il faut modifier les formations initiale et continue mais certainement pas le réseau !
Les Britanniques ont beaucoup développé le dépistage en tant que spécialisation. Est-ce quelque chose à faire, et comment ? Certains laboratoires seraient ravis de réaliser une animation clés en main…
Avoir la phobie des industriels serait une erreur. On n’effacera jamais 10 ans d’expertise clinique sur un produit ! Il faut juste protéger le patient de dérives. Je fais confiance à mes confrères pour jouer le rôle d’interface. Il y aura toujours des personnes préoccupées par autre chose que l’intérêt du patient, mais la majorité jouera le jeu. Si l’on veut toujours être plus blanc que blanc, eh bien on ne fera jamais rien.
Pensez-vous qu’une telle idée de plusieurs niveaux de services sera bien accueillie par les autres professionnels de santé ?
Nous sommes très attentifs à la logique de coopération entre professionnels. Je ne pense pas que, dans ce projet tel qu’il est décrit, nous marchions sur les plates-bandes des autres : nous parlons de rendez-vous et non de consultations, le pharmacien prescripteur, ça n’a jamais été mon dada… Cela étant, dans les zones sous-médicalisées des prescripteurs seront bien contents de pouvoir s’appuyer sur les compétences du pharmacien. Dans des zones surdenses, ce transfert sera moins important, le prescripteur ayant plus de temps. Mais bousculer les champs pourrait amener une guerre qui serait suicidaire pour nous. J’attache beaucoup d’importance aux discussions avec les médecins, mais aussi les kinés et infirmières qui sont avec nous les grands acteurs de la prise en charge en ville.
Venons-en à vos « coups de gueule ». On vous savait hostile à l’idée de succursales, mais là vous êtes violent vis-à-vis des groupements : un, ils doivent arrêter de prétendre faire de la défense professionnelle ; deux, faire de la com’ sur leur enseigne revient à dénigrer les autres… Vous craignez que la menace des chaînes vienne désormais de l’intérieur ?
Bien sûr, c’est pour cela qu’il faut réaffirmer nos positions. Sur la communication, j’ai poussé un coup de gueule et on voit que d’autres réagissent, se sentant peut-être moins seuls [NdlR : l’Ordre, à travers ses recours contre PHR et Giphar]. On ne peut pas défendre notre système de maillage territorial tout en autorisant certains à dire « Venez chez moi ». Malgré tout l’enrobage de ces campagnes, l’objectif c’est ça ! Moi, je n’ai pas de souci sur des communications sur le lieu de vente. Quand on change de niveau avec la télé, la radio ou les Abribus, on entre en contradiction avec le Code de la santé. Comme sur l’Europe et le capital, je crois que si on lâche sur les principes avant de mener la bataille, on a toutes les chances de perdre. Je ne pense pas que laisser faire ce genre de choses soit dans l’intérêt du patient car on prend le risque de faire disparaître demain des officines considérées comme essentielles, des officines de quartier, de zones urbaines sensibles, de ruralité, en leur soustrayant 15 à 20 % de leur clientèle par le biais de la publicité.
Vous semblez vouloir camper sur vos positions passées concernant la recapitalisation des officines…
A propos de la structuration du capital, tout le monde est d’accord pour faire avancer rapidement les SPF-PL, mais ce n’est pas un dossier si simple car il a des conséquences économiques pour l’Etat en raison de la déductibilité des intérêts de l’emprunt pour les rachats de parts de SEL. Concernant l’idée des succursales d’officine avancée par le Collectif des groupements et l’idée de « SEL à trois » avancée par l’Ordre, pour moi, si l’on veut respecter la philosophie de la loi, le ou les titulaires doivent être majoritaires en capital dans l’officine.
C’est donc un non franc et massif au projet de l’Ordre ?
A mon avis, le projet de l’Ordre n’est pas abouti. Imaginez une SEL avec trois officines : l’un des pharmaciens pourra avoir 90 % du capital des trois, quelle sera alors la liberté de décision des deux autres titulaires ? Seconde difficulté, je ne sais pas aujourd’hui répartir le capital entre les trois pour dire où il se trouve ! Après viendra la question du nombre d’adjoints dans les différents points de vente si tout est agrégé dans un compte de résultat. C’est un changement de paradigme de l’organisation de l’officine. On quitte ce que nous avons défendu, c’est l’un des trois piliers… Enfin, tout ceci est sous-tendu pour faciliter l’entrée des jeunes. Or, si celui qui a 90 % de la SEL vend dans 15 ans, pensez-vous qu’un jeune pourra acheter ? Moi, je pense que le jeune et le vendeur iront demander l’ouverture du capital. Ce que nous venons d’éviter nous reviendra de l’intérieur.
Beaucoup de jeunes ne sont-ils pas déjà dans l’incapacité d’acheter une officine avec le système actuel ?
Peut-être, parce qu’aujourd’hui on ne sait déjà pas toujours qui a des parts dans quoi. Les SELAS ont été utilisées pour contourner la loi. J’attends d’ailleurs de voir ce qui va se passer du côté des biologistes qui vont supprimer des modalités d’exercice de sociétés qui existent. Nous aurons le modèle…
L’entrée des jeunes au capital, c’est aussi un problème d’accès au crédit sur lequel vous n’avez pas vraiment de prise…
En effet, actuellement une promesse de vente sur deux ou trois est bloquée faute de crédit. Cela étant, la crise remet tout ceci sur des bases saines. Tant mieux pour ceux qui ont vendu cher hier, mais notre rôle de représentants syndicaux n’est pas de permettre à 10 % de bien sortir du système au détriment des 90 % qui y restent. Il faut un juste équilibre. Je remarque que jusqu’ici tous les dispositifs fiscaux ont bénéficié aux sortants. On voit bien qu’il y a des choses à faire évoluer, notamment dans le cadre des SPF-PL. Il y a 15 ans, l’officine se vendait en dessous de 7 fois l’EBE. Or nous en sommes à 8 voire 10 à 12 fois l’EBE dans un certain nombre de cas ! On peut parler de spéculation.
Au congrès de la Fédération internationale pharmaceutique, des officinaux étrangers mettaient en garde leurs confrères français vis-à-vis d’un repli sur soi consécutif à la décision de la CJCE : « Vous n’êtes pas sortis d’affaire », « Mettez ce répit à profit pour évoluer ou plus dure sera la chute », disaient-ils en substance…
La Cour n’a jamais dit qu’il ne fallait pas ouvrir le capital, mais que les Etats peuvent s’organiser pour trouver le système le plus efficace dans l’intérêt du patient. Il faut donc que les professionnels eux-mêmes répondent bien à ces critères. Si demain nous n’obéissons qu’à des critères économiques, notre défense face à l’ouverture du capital ne tiendra plus. C’est pourquoi les pharmacies discount posent aujourd’hui un vrai problème. Certaines officines qui ont joué l’augmentation du CA dans une logique de revente à des fins spéculatives ne sont pas inscrites dans une logique de bonne prise en charge des patients. Comment peut-on arriver à vendre 90 boîtes en une journée d’un produit dont on a beaucoup entendu parler en mai (comme on a pu l’entendre) tout en posant les bonnes questions ?
N’y a-t-il pas un paradoxe aujourd’hui pour les pharmaciens à s’entendre dire qu’il faut se recentrer sur le coeur de métier alors que tout pousse au quotidien à se développer en dehors du coeur de cible, avec des officines gigantesques ?
Bien sûr, le risque est fort. Reste à savoir si l’article 38 de la loi HPST a été écrit pour rien… Bien sûr, les nouveaux services ne feront pas exploser l’activité ou le résultat des officines du jour au lendemain.
L’enquête de « Que Choisir » n’est-elle pas un signal d’alerte ?
Oui, il y a des explications mais qui ne justifient pas ce résultat ! Les confrères ne doivent pas penser que la personne de l’autre côté du comptoir a les mêmes connaissances qu’eux, même sur des produits qu’ils peuvent considérer comme banals. Même si dans 99 % des cas on lui répondra que ces deux produits contre la douleur sont destinés à des personnes différentes ou bien que le client lèvera les yeux au ciel ou lancera un « Vous me l’avez déjà dit », eh bien ce n’est pas suffisant pour ne pas répéter. On a parfois l’impression de radoter au comptoir. Sauf que nous avons des patients différents. Si dans 1 cas sur 100 répéter peut éviter un incident, pour une femme enceinte par exemple, cela vaut la peine de poser la première question basique : est-ce pour vous ? A fortiori dans le cadre du libre accès et de l’automédication. Je pense que tout cela plaide pour une protocolisation de la dispensation, donc pour l’écriture des bonnes pratiques. De toute façon, cette logique devra entrer dans une phase active avec le développement professionnel continu et l’évaluation des pratiques professionnelles rendues obligatoires par la loi HPST. Il faudra donc des protocoles-cadres adaptables à l’exercice de chacun, et les intégrer dans les informatiques officinales de façon à ce qu’on ne puisse pas « sauter » ces étapes du protocole. Ce genre d’avertissement doit nous pousser à aller vite. Il ne faut jamais sous-estimer les enquêtes du type de celles menées par Que Choisir. On a vu d’autres sondages montrant l’étendue de la confiance donnée au pharmacien, ne la laissons pas filer parce que j’appelle une négligence coupable. C’est pourquoi j’ai demandé une réflexion forte à notre commission Exercice professionnel pour pouvoir donner des outils pratiques pour que le prochain sondage donne un pourcentage inversé.
Ce genre d’enquête vous fait-il frémir concernant le monopole ?
Non, car on a sondé le pharmacien sur quelque chose qui représente peut-être 3 % de son activité, même s’il ne faut pas le négliger et que le résultat est… inadmissible.
Réactions
Les thèmes essentiellement économiques sur lesquels a communiqué la FSPF cet été ne sauraient in fine être concrétisés qu’en discussion avec les deux autres syndicats représentatifs. C’est pourquoi nous leur avons demandé d’y réagir, de même qu’au Collectif des groupements et à PHR, directement mis en cause sur différents points.
Créer un triple niveau de services à l’anglaise
« Je n’en vois pas l’intérêt. Pour le reste, il n’y a là rien de nouveau : orthopédie, optique ou acoustique sont déjà des activités réalisées uniquement par certains. J’ai aussi été un des premiers à revendiquer de nouveaux services rémunérés, sous forme d’actes complémentaires, comme la préparation des doses à administrer ou la dispensation à domicile… Quant au suivi thérapeutique et de l’observance, c’est quoi exactement ? S’il s’agit d’un questionnaire précis, protocolisé, ça, c’est nouveau. Encore faut-il que cela soit gérable. Maintenant, je ne vois pas comment il pourrait y avoir des pharmacies à deux ou trois vitesses. Il est vrai qu’en Grande-Bretagne, on a créé à l’officine une nouvelle activité de diagnostic : là, oui, le service est forcément subordonné à de nouvelles compétences. Et ce sera le cas pour tout ce qui tient de la délégation d’activités médicales. Je note par ailleurs un certain « picking » d’idées de la part de la Fédération : l’idée de permettre au pharmacien de développer des services à distance, de renouveler les ordonnances en zones de désertification médicale, en accord avec le médecin, moyennant la garantie pour le médecin de revoir le patient au moins tous les trois mois, c’est à l’origine une proposition de l’USPO… »« La FSPF nous joue le coup de l’optionnel, elle redevient raisonnable en s’appuyant sur les propositions de l’USPO et en les reformulant autrement. Bienvenue à une réflexion beaucoup plus adaptée à la situation que l’on connaît aujourd’hui ! Dommage, on a perdu deux ans… »
Transformer le forfait à la boîte en rémunération de l’acte intellectuel
Claude Japhet : « Si c’est un acte, il correspond à notre prestation. Premier cas, je délivre trois boîtes : notre prestation correspond-elle à trois actes intellectuels ? Deuxième exemple, je délivre une ordonnance de quatre boîtes : notre prestation correspond-elle vraiment à quatre actes intellectuels ou à un acte, à savoir l’analyse de l’ordonnance ? Troisième cas, avec un renouvellement : doit-on nous recompter un acte intellectuel ? Ce concept est très compliqué et très dangereux… Quant à « rééquilibrer » la marge de dispensation sur l’ensemble du réseau, je ne vois pas pourquoi on irait déshabiller Paul pour habiller Jacques. Dans l’immédiat, le réseau connaît un manque à gagner de 100 à 150 millions d’euros par rapport à l’an dernier. Je propose qu’ils soient redistribués via de nouveaux services rémunérés ouverts à tous. Pourquoi pas aussi se positionner sur le contrôle de la pertinence des ALD ? Comme sur le générique, cette marge reviendra aux pharmaciens qui s’en donnent la peine. Ces services en sus représenteront peut-être 5 à 10 % de l’activité à l’avenir sans que cela coûte forcément beaucoup plus cher. »
Gilles Bonnefond : « La rémunération actuelle n’est et ne sera pas adaptée à l’évolution du métier. On ne me fera pas faire du suivi thérapeutique en me rémunérant sur ma propre marge. Et revaloriser la première tranche ne servira à rien. Il y a un champ très important qui s’ouvre grâce à la loi HPST : la coordination des soins. Ce temps de coordination doit être rémunéré, c’est naturel, normal et au final moins coûteux. Simplement, pour que cette rémunération ait du sens, il faut qu’elle soit visible. Si un pharmacien passe 30 minutes tous les trois mois avec un patient diabétique en coordination avec le médecin (envoi d’un compte rendu à ce dernier), il sera d’autant plus facile de faire comprendre que ça vaut tant d’euros. Ce sera tout l’enjeu des expérimentations. Je suis en faveur du maintien de la marge pharmaceutique et de la mise en place d’une rémunération à la mission, à l’acte, à l’entretien, des honoraires pharmaceutiques en somme. »
« Le transfert partiel de la rémunération commerciale sur la rémunération à l’acte, tel qu’il est présenté , n’est qu’un habillage. Pour moi, la rémunération de l’acte intellectuel doit être un élément complémentaire à la rémunération actuelle, qui reste au coeur du métier. »
Encadrer tout accord avec des complémentaires par une convention-cadre
Claude Japhet : « C’est l’évidence même. Cela permettra au moins au pharmacien d’être dans un cadre conventionnel si d’aventure un organisme complémentaire ne lui payait pas sa prestation ! Nous préconisons une convention socle donnant les limites de ce que le pharmacien peut apporter en termes de prestations. Libre ensuite aux complémentaires de s’y inclure individuellement en se différenciant sur les niveaux des prestations, des services… Nous sommes ici sur un secteur de libre concurrence, y compris côté pharmacies. » « Oui ! L’accord Allianz-Collectif a surtout servi de coup de com’ lors de la création d’Allianz. Dans l’accord, pas de sélection de produits, pas de SMR supplémentaire au patient, des factures papier !… C’était une bonne idée, mais certainement pas aboutie. PHR a ses propres projets. Ce genre d’initiative peut revenir à 50 % aux groupements, mais les syndicats ont effectivement leur propre partie à jouer pour tout encadrer. »
Pascal Louis : « Notre contrat a une valeur expérimentale pour démontrer que ce nouveau type de rémunération est envisageable. Nous avons bien conscience qu’il faudra un cadre général afin que toutes les mutuelles puissent souscrire au principe. Mais ne perdons pas de vue que l’univers des mutuelles est concurrentiel. Si ce cadre ne leur autorise pas de propositions différentes, on tuera l’idée de rémunération par des complémentaires. »
Gilles Bonnefond : « La convention signée entre le Collectif et Allianz est utile car elle a réussi à convaincre un assureur de rémunérer un conseil pharmaceutique sans dispensation de médicament. Maintenant, il faut passer à un cadre conventionnel syndicats-assureurs sans opposition aux médecins (à qui il faudra transmettre les données). »
STOPPER LA FINANCIARISATION, remettre en cause les selas…
Claude Japhet : « On ne construit pas un édifice d’avenir sur des fondations qui vont s’écrouler. Si la modernisation de la profession, c’est l’officine d’il y a 40 ans, la FSPF n’est pas dans la réalité. Par ailleurs, on ne pourra pas demander à des gens de racheter leurs parts de SEL. Des participations croisées en SEL permettent d’avoir les reins plus solides en période de crise. Quant aux SPF-PL, les holdings, nous avons toujours voulu les accélérer, contrairement à la FSPF. Dès qu’il y a une évolution sociétale propre à faire évoluer la branche, nous passons à côté, alors que certaines choses pourraient beaucoup nous apporter en termes de fiscalité. Aujourd’hui il y a un consensus total sur les SPF-PL, exception faite de la FSPF. »Gilles Bonnefond : « Le ticket d’entrée pour une pharmacie est devenu très cher. Faire entrer les jeunes progressivement dans le capital, c’est bien, et les SEL sont l’un des moyens. Et je préfère des jeunes titulaires plutôt que gérants. J’aspire donc à ce que nos jeunes confrères puissent acquérir une officine même sans parents pharmaciens. La modification de la loi sur les SEL et les SPF-PL est une priorité. Pour favoriser les regroupements, il faut aussi des mesures fiscales telles que différer les plus-values. »
Pascal Louis : « Sur les holdings, il y a urgence à ce qu’un texte sorte et l’augmentation des montages en SEL prouve bien que les holdings sont devenues un outil économique indispensable à la profession. Concernant les SELAS, ce serait une erreur fondamentale de les interdire. Les supprimer ôterait en effet aux holdings une grande part de leur intérêt fiscal. »
Imposer que les titulaires soient majoritaires en capital
Claude Japhet : « Ce qui fait peur, c’est l’idée d’avoir une majorité capitalistique sans avoir la majorité des droits de vote. Mais la question est en fait : sommes-nous pour ou contre la multipropriété ? Arrêtons ! Cela existe déjà, et moins on sera clairs, plus il y aura de dérives. Il faut crever l’abcès. Et qu’on arrête aussi de nous dire qu’il y aura des problèmes de subordination. La multipropriété n’est pas une affaire capitalistique mais une affaire d’organisation du réseau. »
Pascal Louis : « Le Collectif des groupements est favorable à un système détenu par les pharmaciens, mais présentant une organisation capitalistique la plus souple possible. On en revient aux SELAS. »
Encadrer la communication
Lucien Bennatan : « D’abord, je trouve que Philippe Gaertner est un homme courageux : c’est le seul représentant officiel qui a accepté de commenter notre projet de charte de communication proposé en avril (communication sur les services, communication éthique et soumise à l’Ordre et aux syndicats…). Il a participé en exposant ses réticences, mais il l’a fait ! Je comprends aussi ses positions, puisqu’il doit défendre 14 000 adhérents, très différents, dont certains sont d’ailleurs membres de PHR et ne sont pas forcément d’accord avec toutes les prises de position de leur président de syndicat. Maintenant, la communication d’un groupe comme PHR constitue-t-elle une menace de chaîne ? Certainement pas. Si une chaîne c’est une série d’officines qui n’appartiennent pas totalement à leur exploitant, alors il en existe déjà, qu’elles s’appellent SEL, SELAS, SELARL… La communication en est peut-être une conséquence mais certainement pas la cause. Notre campagne contribuera-t-elle à laisser des pharmaciens sur le bord de la route ? Je suis désolé, mais des pharmaciens qui n’ont pas ma vitrine, que les laboratoires ne visitent plus, qui n’ont pas mis en place le DP, le libre accès ou la certification qualité, il y en a beaucoup et ce n’est pas moi qui en suis la cause. Ma communication est double : quand je parle de « raisons de nous préférer » dans la presse professionnelle, parce que nous prétendons pouvoir aider les pharmaciens qui nous rejoignent, évidemment que cela vise à récupérer des adhérents. Mais, dans le grand public, je maintiens qu’il s’agit de donner des raisons à l’opinion de préférer la pharmacie dans son ensemble car le public y trouvera des services qu’il ne trouvera pas ailleurs. Mais cela restera vrai si les pharmaciens se donnent la peine de mettre en place de nouveaux services. »
Pascal Louis : « Ce sujet n’évolue pas alors que depuis des années nous voulons en discuter. Les groupements ont pris l’initiative de communiquer et le CNGPO les a incités à le faire. Nous sommes persuadés que nous n’avons pas les moyens de nous exonérer d’une communication grand public. »
Gilles Bonnefond : « Je préférerais que les groupements communiquent sur la compétence plutôt que sur leur nom. »
Financiarisation ?
Lucien Bennatan : « Non, je ne suis pas le « mal » » et les groupements non plus. D’ailleurs, le monopole du « bien » n’appartient pas à l’Ordre ou aux syndicats. La financiarisation de la profession, elle vient du fait que nous n’avons pas préparé la réorganisation du maillage territorial. Nous avons bricolé. Plutôt que de laisser l’économie réorganiser le réseau, sortons nos cartes d’état-major et faisons-le nous-mêmes ! »
Pascal Louis : « On est dans un principe de rémunération commerciale. Pour éviter que la financiarisation gouverne tout, le réseau doit s’organiser en donnant de la souplesse à des officinaux investisseurs tout en empêchant les déviances. Bien encadrée, la financiarisation n’a plus à être diabolisée. »
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