VIH : le « Long acting », pour espérer couper court au virus

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VIH : le « Long acting », pour espérer couper court au virus

Publié le 2 décembre 2024
Par Romain Loury
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En 30 ans, les traitements contre le VIH ont connu d’importantes avancées. Derniers arrivés, les injectables à longue durée d’action (long acting) devraient bientôt être indiqués dans la prophylaxie préexposition (PrEP), suscitant l’espoir d’une prévention plus diversifiée, mieux adaptée aux besoins.

Depuis l’arrivée des trithérapies au milieu des années 1990, les personnes vivant avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) présentent, lorsque leurs défenses immunitaires sont préservées, une espérance de vie équivalente à celle de la population générale. Pourtant, si l’infection par le VIH n’équivaut plus à une condamnation à mort dans les pays où l’accès au traitement est effectif, elle demeure un fardeau, de même que son traitement.
En 30 ans, celui-ci a pourtant connu de nombreux progrès dont l’arrivée de nouvelles classes thérapeutiques (en particulier les anti-intégrases), une moindre toxicité, une posologie allégée. En la matière, la commercialisation en 2009 d’Atripla, première trithérapie en un comprimé quotidien, a constitué un tournant. Depuis, l’allègement thérapeutique, gage d’une meilleure qualité de vie et d’une observance facilitée, est devenu l’une des boussoles de la recherche anti-VIH.
Au lieu d’une trithérapie, certains patients ont désormais recours à une bithérapie. Autre option, le traitement intermittent, avec cinq jours sous trithérapie et deux jours sans. « La bithérapie, les traitements intermittents, c’est quelque chose de très français, les autres pays ne le font pas trop, observe la Pre Valérie Pourcher, cheffe du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). Cela doit concerner environ 30 % de nos patients à la Pitié-Salpêtrière. Ce sont des modalités qu’on ne peut proposer qu’en cas de charge virale indétectable, à des patients qui ont bien compris leur traitement ».

Dans le même objectif, les traitements injectables à longue durée d’action constituent une tendance marquée de la recherche. Deux d’entre eux sont autorisés en France. D’une part, la bithérapie cabotégravir/rilpivirine (Vocabria/Rekambys) : administrée tous les deux mois par voie intramusculaire, elle est indiquée en relais d’un traitement efficace d’au moins six mois. D’autre part, le lénacapavir (Sunlenca), tous les six mois par voie sous-cutanée, doit être associé à d’autres antirétroviraux (oraux, donc de prise quotidienne), et il est réservé aux patients en échec thérapeutique et porteur d’un virus multirésistant. D’autres molécules à longue durée d’action sont en cours d’évaluation précoce, dont des anticorps neutralisants à large spectre dirigés contre le VIH, eux aussi administrés tous les six mois, tels que le teropavimab et le zinlirvimab.

La PrEP, efficace mais sous-utilisée

Au-delà du traitement, la tendance au « long acting » s’étend à la prévention par la prophylaxie préexposition (PrEP), proposée aux personnes à haut risque d’infection. Remboursée depuis janvier 2016, prescrite en ville depuis juin 2021, elle n’est pour l’instant que per os, sous forme de comprimés ténofovir/emtricitabine (Truvada) pris de manière quotidienne ou intermittente (à la demande, lors de périodes d’exposition au risque) selon les besoins de la personne.
Chez les personnes observantes, l’efficacité de la PrEP orale est proche de 100 %. Malgré son intérêt majeur en tant qu’outil de santé publique, elle demeure surtout utilisée par les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) qui vivent dans les grandes métropoles. Son usage est, en revanche marginal, chez les hétérosexuels multipartenaires, les migrants originaires d’Afrique subsaharienne, les HSH étrangers ou les travailleuses du sexe.

Selon les experts, il y a urgence à étendre la PrEP à l’ensemble des personnes à risque, quelles que soient leur origine, leur identité de genre, leur orientation sexuelle. D’autant que, dans la lignée des objectifs de développement durable édictés en 2015 par l’Organisation des Nations unies, la stratégie nationale de santé sexuelle, publiée en 2017 par le gouvernement, vise « la fin de l’épidémie du VIH en tant que menace pour la santé publique d’ici à 2030 ».

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Élargir l’offre

Les recommandations sur la PrEP, actualisées en août par la Haute Autorité de santé (HAS), l’Agence nationale de recherches sur le sida, les hépatites virales et les maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE) et le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) ont pour objectif d’élargir l’offre de PrEP à toute personne qui s’estime à risque élevé. Pour cela, les experts proposent l’extension de la prescription aux sages-femmes, ainsi qu’une systématisation de l’offre à toute personne venue consulter pour un traitement postexposition (TPE). Surtout, le paysage de la prévention pourrait être bouleversé par l’arrivée, attendue pour 2025, d’une première PrEP injectable à base de cabotégravir (Apretude), administrée tous les deux mois, et perçue par les experts comme l’occasion de toucher de nouveaux publics du fait de sa posologie.
Selon le Dr Cédric Arvieux, coordinateur du groupe de travail sur la PrEP de la HAS, exerçant au service des maladies infectieuses du centre hospitalier universitaire de Rennes (Ille-et-Vilaine), la PrEP injectable « répondra à un besoin de la population féminine, dans laquelle nous n’avons pas d’autre choix que la PrEP orale quotidienne, ce qui n’est pas la solution idéale ». Car en raison d’une diffusion plus lente du Truvada dans la muqueuse vaginale, la PrEP intermittente n’est pas recommandée chez les femmes. Au-delà du cabotégravir, une autre PrEP injectable, à base de lénacapavir et injectable tous les six mois, a récemment obtenu des résultats très favorables de phase 3 et devrait arriver en France au cours des prochaines années.

L’évolution des médicaments à visée thérapeutique ou préventive vers le long acting va-t-elle remettre en cause le concept du traitement oral quotidien ? Pas si sûr. Pour la PrEP, « certaines personnes ne veulent pas entendre parler de traitements injectables, d’autres souhaitent pouvoir les utiliser dans une période, pas dans une autre », observe le Pr Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Tenon (Paris).
« Avec le lénapacavir, ce sera un peu différent : comme il est administré en sous-cutané, la personne pourrait donc se passer de recourir au système de soins, explique le médecin. Or si vous perdez les personnes de vue, quelle est l’offre de santé sexuelle ? La PrEP doit être intégrée dans une offre de soins qui inclut la vaccination, le suivi prospectif du mpox, le dépistage et le traitement des infections sexuellement transmissibles (IST), etc. Je ne boude pas les avancées, mais il est illusoire de penser que tout le monde sera un jour sous long acting ».

Des fragilités

Quant au long acting à visée thérapeutique, son impact doit être relativisé, en particulier chez les nombreux patients qui, atteints de comorbidités, sont astreints à d’autres médicaments que les anti-VIH. Même si, selon Gilles Pialoux, « ces comprimés ne sont pas comme les autres. Beaucoup de patients me décrivent leur effet “rappel du VIH”. Et il demeure le problème de la discrétion : il n’y a aucun problème à sortir sa statine au milieu d’un repas professionnel, mais ce n’est pas le cas pour un STR [single tablet regimen, traitement tout-en-un, NDLR] VIH. Il ne faut pas négliger la lassitude des patients envers ce traitement, ni la stigmatisation qui demeure associée au VIH ».
Pour Christophe Rouquette, coordinateur du collectif interassociatif TRT-5 CHV , la question du traitement anti-VIH en 2024 va bien au-delà du long acting : « Il ne faut pas croire que le paysage thérapeutique du VIH ne va qu’en s’éclaircissant. Le long acting répond à certains besoins, et accroît le confort de vie dans certaines situations. Mais il demeure des fragilités dans l’offre thérapeutique », en particulier chez les personnes vivant avec un virus multirésistant, dont les options demeurent limitées.
Par ailleurs, la question des effets indésirables, moins visible que par le passé, est loin d’être résolue, ajoute Paul-Emmanuel Devez, membre du groupe de travail de la HAS en tant que représentant du TRT-5 CHV (par ailleurs écoutant chez Sida Info Service et Hépatites Info Service) : « Il y a moins d’effets indésirables qu’avant, mais cela ne signifie pas qu’ils sont totalements absents. Cela dépend des personnes, il ne faut donc pas mettre fin au dialogue entre elles et leurs médecins à ce sujet. Malgré leurs progrès, ces traitements doivent toujours être pris à vie ».

À retenir

  • Les traitements anti-VIH ont connu de nets progrès, notamment en matière d’allègement thérapeutique.
  • Derniers arrivés, les traitements injectables à longue durée d’action visent à améliorer la qualité de vie et l’observance des patients.
  • Prochainement utilisés en prévention, ils pourraient accroître la couverture de la PrEP chez les personnes à risque élevé d’infection. 

À écouter : « Moi, patient vivant avec le VIH »

Comment bien accueillir une personne vivant avec le VIH dans sa pharmacie ? Réponses avec Emmanuel Bodoignet, séropositif et membre du bureau de l’association Aides. Il revient sur les craintes, et suggère quelques phrases ouvrant la discussion. Il esquisse le rôle que pourrait jouer les pharmaciens et les préparateurs dans la sensibilisation, le dépistage et la prise en charge de cette maladie.