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La fac de Lyon n’a pas oublié Kaboul

Publié le 18 janvier 2003
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Après le passage des talibans, les pharmaciens ont été presque rayés du système de santé. Au nom d’une collaboration de plus de 40 ans, la faculté de pharmacie de Lyon a décidé de leur venir en aide.

Alors que les regards sont actuellement tournés vers l’Irak, tout le monde ou presque semble avoir oublié l’Afghanistan. Le 6 décembre dernier, le secrétaire général des Nations unies a pourtant rappelé les problèmes humanitaires incessants auxquels doit encore faire face le pays un peu plus de un an après la chute des talibans (novembre 2001). Certes, l’assistance humanitaire et l’aide au redressement ont permis le retour de plus d’un million de réfugiés, le retour à l’école de plus de trois millions d’enfants et l’augmentation de 90 % du taux d’inscription des filles à l’école, mais la reconstruction est très loin d’être achevée.

Faculté incendiée.

Les Nations unies invitent les donateurs, qui ont trop rapidement interrompu leur soutien financier, à remettre la main à la poche afin de couvrir les besoins les plus urgents, mais aussi à soutenir des opérations à long terme de « relèvement ». Comme beaucoup d’autres secteurs, la pharmacie éprouve d’immenses difficultés à se relever après ces années de guerre et de chaos qui ont conduit au quasi-anéantissement de la profession… Incendie de la faculté de pharmacie de Kaboul, en 1992, après le départ des Soviétiques puis pillage par les talibans, renvoi des enseignantes et des étudiantes en pharmacie, exode des diplômés (sur les 4 500 pharmaciens formés en Afghanistan depuis 1962, seuls 350 sont restés au pays), mise en place d’un « diplôme » au rabais (une formation de trois mois après le bac suffisait pour vendre des médicaments…) Conséquence : les pharmacies sauvages se sont multipliées, tout comme le marché noir, et, en l’absence d’un système de contrôle du circuit pharmaceutique, les médicaments contrefaits pullulent.

Un état de fait confirmé par PSF-Comité international (PSF-CI) qui a pu constater sur place l’étendue des dégâts : « Les pharmacies vendent des médicaments de qualité douteuse en provenance de Chine, du Pakistan ou de l’Inde sans la moindre conscience du risque encouru par les patients. » Pourtant les pathologies observées dans les cliniques et les hôpitaux sont rien moins que le paludisme, la tuberculose, des infections respiratoires aiguës, des diarrhées, des infections parasitaires, des maladies de la peau, la leishmaniose… De plus, la malnutrition chronique et l’absence d’hygiène contribuent à aggraver cette situation. Toujours selon PSF-CI, des médecins et des pharmaciens privés sont bien en activité mais les connaissances médicales des médecins sont faibles, le diagnostic incertain et la prescription souvent dangereuse…

Des études à la française.

Face à une situation aussi catastrophique, les pharmaciens « rescapés », et en particulier les enseignants, ont lancé un appel à la solidarité. Trois d’entre eux ont d’ailleurs été invités à participer au dernier congrès de la Fédération internationale de la pharmacie en septembre dernier à Nice. Ils se sont tout naturellement tournés vers la France avec laquelle ils entretiennent des liens depuis plus de 40 ans. En effet, dès la création de la faculté de pharmacie de Kaboul, en 1962, des échanges ont été initiés avec son homologue de Lyon (venue de boursiers afghans en France, envoi d’enseignants lyonnais…).

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A l’origine, les études pharmaceutiques en Afghanistan étaient donc calquées sur notre cursus (elles durent actuellement quatre années). En toute logique, le doyen Baboury, professeur de pharmacognosie, formé à Moscou, a donc demandé à ses collègues lyonnais de revenir pour aider le corps enseignant à actualiser le programme.

Il souhaite parallèlement que son établissement soit complètement réhabilité en rééquipant les différents laboratoires et en modernisant la bibliothèque. Après avoir sollicité l’ambassade de France, une première délégation lyonnaise, composée de deux enseignants, Christian Collombel et de Dominique Marcel, s’est rendue cet été sur place pour évaluer les besoins. A l’époque l’urgence était de rétablir… l’eau et l’électricité.

Actuellement, la faculté compte seize enseignants, dont plusieurs femmes qui se sont vu interdire pendant cinq ans l’accès des salles de cours. De même, des étudiantes sont revenues. Entre-temps, elles se sont mariées et sont mères de plusieurs enfants…

Réhabiliter le laboratoire de contrôle.

Mais la faculté de Lyon et son doyen, François Locher, ne veulent pas se contenter d’envoyer des enseignants et des polycopiés ou encore de recevoir des boursiers. D’autres actions, avec la contribution de différents partenaires, sont également envisagées pour aider les confrères afghans à retrouver leur rôle au sein du système de santé du pays. Un symposium sur ce thème aura lieu le 28 janvier prochain, animé par Christian Collombel et Dominique Marcel. « Nous voulons apporter notre aide pour réhabiliter un laboratoire de contrôle du médicament », indique François Locher, qui devrait pouvoir compter également sur le ministère des Affaires étrangères, ainsi que sur celui de la Coopération. Des contacts vont également être noués avec le LEEM (ex-SNIP). La construction d’une centrale d’achat du médicament est également programmée.

Il faut se souvenir qu’avant l’arrivée des moudjahidine, plusieurs laboratoires pharmaceutiques afghans existaient et produisaient des spécialités pharmaceutiques (plus d’une centaine). Ces mêmes laboratoires étaient d’ailleurs exportateurs.